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s’opposent et s’excluent dans le jeu profond de notre activité psychique. L’antinomie est évidente. Une idée tout à fait claire, semblable à une lumière, dont on peut calculer l’éclat et différencier les rayons, est pour la raison une source de délices, mais elle n’atteint pas les régions de l’âme d’où la foi s’élance et nous soulève. Des idées confuses la déterminent par le fuyant et vaporeux halo, dont elles s’entourent, et qui se dérobe à.toute analyse.

Ce dernier point est d’importance. Il est nécessaire que l’élément obscur, auquel la foi s’adresse, soit au-dessus de toute vérification positive. L’idée socialiste et l’idée de science, la première beaucoup plus que la seconde, font naître des courans de foi par le rêve vague, immense, mystérieux, dont elles s’accompagnent. Mais, dans les deux cas, le phénomène psychique reste limité, pauvre, chétif, suffisant pour agir sur la conscience collective, non pour régner en maître dans les consciences individuelles. C’est qu’ici le rêve est rempli d’élémens humains, uniquement humains, accessibles, analysables et ne tire son obscurité que du seul lointain dans lequel il se projette. La foi n’a guère la plénitude de son efficacité psychologique que dans l’expérience religieuse. Il lui faut du divin, comme il en faut à l’impératif, qui doit servir de base à la morale, si l’on veut qu’il ait une véritable force déterminante et surtout une belle vertu éducative. Cette nécessité du divin n’échappe pas aux moralistes contemporains et leur inspire les plus généreux efforts pour dégager des notions nouvelles qui puissent en remplir le rôle. On est bien forcé de prendre l’âme telle qu’elle est avec ses exigences, et non pas telle que parfois on voudrait qu’elle fût.

Enfin le risque est toujours grand de rompre dans les âmes l’action d’une foi très ancienne, d’où sortait l’effort pénible, souvent douloureux, quelquefois héroïque, parce qu’on leur apprend le soulagement de la détente, la douceur du repos, le charme morbide d’un demi-sommeil qui vous ôte jusqu’à la force de désirer une foi nouvelle. Or, la foi, quel qu’en soit l’objet, qu’on la demande à deux genoux sur les dalles du temple, ou qu’on l’excite en soi par des moyens purement humains, est avant tout un acte de désir, de bonne volonté et d’effort. Comment attendre cet effort des paysans ? Le refroidissement religieux n’est pas pour eux la joie d’un