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merveilleuse lumière l’enveloppe, où il trouve sécurité, délices et orgueil, mais autour de lui l’obscurité n’est que plus profonde et plus redoutable par les dangers de mort qu’elle cache. Fort heureusement une secousse de l’instinct de vie fera tourner le phare dans ses mains et le cône lumineux lui découvrira la route. C’est ainsi qu’à certaines heures des courans étranges traversent les peuples et les soulèvent. On les voit alors glorifier ce que la veille ils dédaignaient et adorer des dieux qu’on croyait morts. C’est un grand scandale pour l’intelligence qui distingue, discute, atténue, explique, proteste et peut-être ne comprend pas. Mais le génie de la vie n’attend pas que l’intelligence comprenne.

Il n’est pas sûr, pour prendre un exemple, que l’intelligence comprenne le régionalisme qui travaille la France. Elle s’arrête au plan superficiel, dont les manifestations historiques, littéraires, artistiques l’intéressent et l’enchantent. Son dilettantisme s’y délecte et son esprit critique s’exerce sur les écarts et les puérilités inévitables. Elle croit tenir tout le phénomène cependant que le fond lui échappe ; elle ne sent pas l’obscure révolte contre la mort, le besoin de revanche, l’énergique poussée de l’instinct de vie qui le remplissent.

L’an dernier, sur les bords de la Baïse, dans notre voisinage, il y a eu pour la première fois la fête des vieilles chansons patoises, et, comme on demandait à l’organisateur, non les motifs superficiels et secondaires, mais la raison profonde de son effort, lui, jeune médecin, d’un esprit scientifique, très ouvert aux idées nouvelles les plus hardies, a simplement répondu : On sent la mort dans le pays, et il faut l’éloigner. Un appel fut lancé aux chanteurs, et, de tous côtés, des bords de la Garonne et de la forêt des Landes, de l’Armagnac, pays de vignes, et du Brulhois, terre de labour, en foule ils accoururent. On entendit la chanson vespérale du berger poussant ses animaux des prairies vers l’étable, les couplets joyeux du vendangeur, qui, dans un geste dionysiaque, mouste les jeunes filles, en écrasant sur leurs joues les grappes oubliées, la monotone mélopée du laboureur, rythmée au pas lent des attelages, douce et triste comme la vieille supplication de l’homme demandant à la terre de le nourrir. De Nérac à Condom, les maisons s’étaient vidées et la fête fut brillante. Des lettrés y assistaient et y prirent un plaisir extrême. Mais il leur sembla