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Certains se plaisent à relier la pensée moderne au passé, où ils nous montrent ses origines, ce qui n’est pas sans beaucoup d’intérêt et de profit. Tout le monde y gagne : les morts que l’on fait revivre, les vivans que l’on compare aux morts les plus grands sans trop de désavantage. On sait que cette année même Descartes, sous la conduite habile de M. Denys Cochin[1], a fréquenté chez plusieurs de nos philosophes et ne s’est pas déplu dans leur compagnie. Pascal, sans beaucoup d’effort, s’y serait peut-être senti plus à l’aise. Conçoit-on d’ailleurs qu’une philosophie puisse être aujourd’hui vraiment originale ? Tout n’a-t-il pas été dit, « depuis plus de sept mille ans qu’il y a des hommes, et qui pensent ? » Les idées ne tirent-elles pas une partie de leur valeur du moment où elles paraissent, des circonstances qui les appellent, des services qu’elles rendent et du rôle qu’elles jouent ? C’est dans le présent que nous aimons la pensée philosophique des trente dernières années, dans le présent et au regard de l’avenir.

Il est permis à chacun de noter le retentissement d’une philosophie dans son esprit, échos qu’elle éveille, troubles qu’elle apaise, difficultés qu’elle résout, espoirs et courage qu’elle enflamme. Ainsi naissent et se propagent d’innombrables résonances qui profitent à la philosophie elle-même, en tant que l’œuvre d’un seul ou de quelques-uns n’est pas quelque chose d’arrêté, de clos, de définitif, mais une direction qui se continue et un élan qui s’accroît dans la pensée de tous. La réflexion philosophique n’exige pas qu’on soit philosophe avec la robe ou le bouton de cristal, ni qu’on quitte sa journée avant le soir pour prendre des attitudes méditatives : chacun la fait en son particulier, de sa place, et à sa manière. La nôtre, — celle du médecin, qui travaille toujours sur le concret, durement et terre à terre, — est de considérer l’effort de la pensée moderne d’un point de vue pratique, et dans les conséquences qu’on en peut prévoir, quand, sorti du domaine spéculatif, il entrera dans celui des réalités complexes et vivantes, dans la réalité journalière de notre vie individuelle, familiale, politique et sociale. Il n’est pas téméraire de penser que quelque chose y sera changé.

L’école est un chapitre important de cette réalité. On voit le problème auquel nous pensons et comment il se pose. Il s’agit

  1. Descartes, par M. Denys Cochin. Alcan, 1913.