Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/471

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

garçon des Pelletier de n’avoir pas été étranger à sa préparation. Mais Bülow et son état-major n’en furent pas moins épouvantés du danger que venait de leur révéler un « hasard providentiel. » Toujours en grand secret, la journée entière du 14 août fut employée à d’énergiques mesures de défense. Les hommes reçurent l’ordre de passer la nuit sur pied, dans leurs chambres, l’arme à portée demain ; tous les postes furent décuplés ; et, vers dix heures du soir, un régiment de cuirassiers prussiens, cantonné aux environs, vint s’installer sur la Place d’Armes.

Aussitôt, sur un signal de Bülow, le canon se met à tonner ; toutes les places, toutes les rues se remplissent de troupes ; et l’on procède à l’arrestation de tous ceux des habitans de Chartres dont on a déchiffré les noms sur les papiers saisis dans la maison des Pelletier. Séance tenante, ces malheureux se voient traduits devant un conseil de guerre qui en condamne quatorze à être fusillés. Leur procès, tout sommaire, a lieu dans l’une des salles de l’Hôtel de Ville, en présence du préfet et des « autorités municipales. » Puis les condamnés descendent dans la cour de l’Hôtel de Ville, et c’est là qu’ils subissent leur exécution, — tous excepté leur chef, l’heureux Pelletier, à qui l’on daigne faire grâce en raison de l’inconsciente dénonciation de son fils.


Cette procédure catégorique, — ajoute Wenzel Krimer, — amena pleinement l’effet désiré : personne désormais, dans la ville, ne songea plus à une réaction. Et il semble aussi que l’échec du complot projeté à Chartres ait eu son contre-coup dans d’autres endroits : car nous ne tardâmes pas à apprendre qu’une bonne partie de l’armée française de la Loire avait juré fidélité au roi Louis XVIII ; tandis que le reste se trouvait désarmé et licencié. À Paris et à Versailles, tout se passa tranquillement, sauf quelques tumultes isolés. Mais Ton ne peut s’empêcher d’imaginer les suites qu’aurait risqué d’avoir ce complot de Chartres, si la chance en avait favorisé l’accomplissement. Qui sait si, du coup, l’Allemagne même n’aurait pas été exposée à une nouvelle invasion ?


De telle sorte que tout s’est terminé pour le mieux, au jugement de Wenzel Krimer, qui d’ailleurs ne nous cache pas l’extrême plaisir que lui a causé, bientôt après, l’ordre de quitter Chartres pour rentrer à Paris. Mais combien plus vif encore a dû être le plaisir des Chartrains, en se voyant délivrés de ces hôtes qui depuis deux mois, à leurs frais, vivaient dans leurs maisons « comme Dieu en France ! »


T. de Wyzewa.