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brandes, les garrigues du Plateau central correspondent dans notre esprit à ces places de village où nos clochers s’écroulent. A quoi attribuer cette émotion d’une qualité mystique ?

On dirait qu’à peu de distance sous terre l’amour des forêts et des sources, l’amour des vastes solitudes rejoignent l’amour des sanctuaires et que des sentimens si divers ont des racines communes. Ceux qui s’emploient avec allégresse à dénaturer la face de la terre, nous les tenons d’instinct pour les frères de ceux qui disent : « Qu’importe que les églises s’écroulent ! des excès des uns et des autres nous remplissent d’horreur. La mise à mort d’une forêt, d’une rivière, d’un haut lieu offense l’univers, nous fait désirer des cérémonies de purification. Pourquoi cette rumeur de notre conscience ? Pourquoi cet attrait religieux que nous inspire ce qui s’épanouit d’une manière intacte à l’air pur ?

Les pensées de nos lointains ancêtres exercent toujours de mystérieuses et fortes poussées dans notre vie. Le peuple des fées et des génies qui vivaient dans les eaux, les bois et les retraites a disparu, mais, en mourant, il a laissé aux lieux qu’il animait des titres de vénération et gardé avec notre race des liens d’amitié ou de terreur. Les siècles comptent peu pour celui qui dans la solitude prend soin d’écouter sa conscience, d’en accueillir les murmures profonds et de recevoir au fond de son être les dieux dépossédés.

J’ai lu, relu avec une ivresse de plaisir le célèbre sermon où saint Éloi, au VIIe siècle, énumère et vitupère toutes les survivances païennes demeurées dans les mœurs de ses ouailles, nos pères : « N’observez, leur dit-il, aucune des coutumes sacrilèges des païens, ne consultez pas les charlatans, ni les devins, ni les sorciers, ni les enchanteurs… ; n’observez pas les augures, ni les éternuemens, et quand vous êtes en chemin, ne faites pas attention au chant des petits oiseaux. Qu’aucun chrétien n’observe quel jour il sort de chez lui, ni quel jour il y rentre… Que nul, pour entreprendre un travail, ne fasse attention au jour ni à la lune ; que nul, aux calendes de janvier, ne se déguise en veau ni en cerf, ne tienne table ouverte pendant la nuit, ne donne ou reçoive des étrennes et ne se livre aux excès du vin ; que nul ne croie aux devineresses et ne s’assoie pour écouter leurs chants ; que nul à la Saint-Jean et autres fêtes des saints, aux solstices, ne pratique les danses, les sauteries,