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garnison à Fontainebleau au moment où la Cour y était en résidence. Le petit baron était un joli garçon, le visage ouvert sous sa toison blonde. Il n’avait qu’à se laisser voir, galant et gai, à la tête de sa compagnie. Le Roi pouvait le remarquer un jour en passant… et la marquise se laissait aller à bâtir des châteaux en Espagne. Qui sait ? Tout pouvait encore se réparer. Mais le lieutenant de Sévigné lui écrivait des lettres bien noires où il ne parlait que de « chaînes » et d’ « esclavage. » Il aurait voulu « voler aux Rochers. » Et, par désœuvrement et par tristesse, au lieu de faire sa cour au Roi, le petit baron la faisait à la grosse cousine de V… » dont nous ne savons rien, sauf qu’elle était duchesse.

Le voilà donc qui court la forêt, en pensant aux bois des Rochers, en véritable Breton nostalgique. Le voilà qui, au lieu de briller au château, se cache dans le salon de sa duchesse. Sa mère, de loin, jette un petit sourire impatient. Peut-on si mal savoir arranger ses affaires ! Le voilà, avec tous ses dons, qui passe pour un rustaud, un ours, peut-être même pour un avare !


16 juin 1680.

Pour mon fils, on croit toujours qu’il n’a pas un sou. Il ne donne rien du tout, jamais un repas, jamais une galanterie, pas un cheval pour suivre le Roi et M. le Dauphin à la chasse ; n’osant jouer un louis ; et si vous saviez l’argent qui lui passe par les mains, vous en seriez surprise !


Ce qu’il rapporta en Bretagne de cette garnison de Fontainebleau, ce n’était pas la faveur du Roi ; ce qu’il avait gagné sous le dais de la duchesse ne peut honnêtement se nommer Le pauvre garçon rentra fort malade chez sa mère. « Je pensais qu’il fallait mourir avant que d’en ouvrir la bouche, » écrit-elle. Mais lui n’hésite pas à confier son malheur à quinze ou seize honnêtes personnes. Il est furieux, de la vive colère d’un être faible et tendre qui se voit trompé, berné. Cela passe vite, mais cela brûle et crie, sans souci des conséquences.

« Ce fripon de Sévigné » est un bien aimable garçon, mais il ne réussit guère à Versailles ; c’est un brave soldat, mais il voudrait vendre sa charge d’officier. La Cour et l’armée sont, pourtant, les principaux emplois d’un homme de qualité. Il en existe un troisième, qui incombe au chef du nom et des armes, et c’est le devoir de continuer la race… Mais là encore ce gentil