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prépare aux Bourbons les voies du retour. » Joseph de Maistre leur reconnaît beaucoup d’esprit et de bonté, beaucoup de considération qui naît de la grandeur antique, mais, quoiqu’il les croie « très capables de jouir de la royauté, » il les croit encore une fois incapables de la rétablir.

Joseph de Maistre prend donc la résolution d’aller voir lui-même l’usurpateur qui a dit de son œuvre : « Je n’ai point usurpé la couronne ; je l’ai relevée dans le ruisseau. Le peuple l’a mise sur ma tête. » Le ministre du roi de Sardaigne compte sur sa valeur personnelle, sur l’effet de sa parole, sur l’intérêt de ses propositions pour agir sur l’esprit de Napoléon. Il pense qu’il rendra à son maître un service signalé et qu’il accomplira un acte aussi utile qu’audacieux. Sans doute, il n’avait pas l’espoir de voir restituer le Piémont à la Savoie, mais, dans le moment même où Napoléon disposait en souverain des couronnes et des royaumes de l’Europe, la Maison de Savoie n’avait-elle pas quelque chose à espérer ? Le dialogue entre de Maistre et Savary fut des plus courts… Que voulez-vous ? demanda le général. — Je ne vous ai pas dit que je voulais demander la restitution du Piémont. — Mais que voulez-vous donc ? — Parler tête à tête avec votre Empereur, — De quoi parlerez-vous ? — Je parlerai sans doute de la Maison de Savoie, car je vais à Paris pour cela. Je ne prononcerai pas le mot de restitution. Je ne ferai aucune demande qui ne serait pas propice. » Et il remit à Savary un mémoire destiné à Napoléon, qui se terminait par ces mots : « Vous êtes le maître de faire tout ce qu’il vous plaira de ma personne : Elle est ici. »

L’Empereur lut le mémoire en novembre 1807 et n’y fît aucune réponse. Mais les égards particuliers que l’ambassadeur français Caulaincourt témoigna par la suite à Joseph de Maistre montrent bien que sa démarche n’avait point déplu. Le ministre du Roi, M. de Rossi, blâma le comte de Maistre qui le prit de haut : « Le Cabinet est surpris ? répondit-il. Tout est perdu. En vain le monde croule, Dieu vous garde d’une idée imprévue ! Et c’est ce qui me persuade encore davantage que je ne suis pas l’homme que vous croyez, car je puis bien vous promettre de faire les affaires de Sa Majesté aussi bien qu’un autre, mais je ne puis vous promettre de ne jamais vous surprendre. » Et trouvant Caulaincourt plus modéré pour lui que Rossi, il s’écriait : « Quand je pense à tout ce que j’ai dit, fait et écrit