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Il aime mieux tout promettre, tout engager à la fois, au risque de se faire obstruction à lui-même et de n’aboutir à rien. Mais tient-il à aboutir ? Alors, que n’engage-t-il toute la responsabilité ministérielle devant le Sénat ? Que ne pose-t-il la question de confiance sur la question de l’impôt sur le revenu ? Le fera-t-il ? M. Barthou ne le croit pas et nous ne le croyons pas davantage. Avant les élections, M. Caillaux ne posera la question de confiance sur rien, car sa seule politique se réduit à vivre.

Mais, dira-t-on, si le Ministère ne fait rien jusqu’aux élections prochaines, quel inconvénient y a-t-il à ce qu’il traîne une existence inerte jusqu’à cette date, qui est d’ailleurs très prochaine ? L’inconvénient n’est pas dans ce que le ministère fera avant les élections, mais dans ce qu’il prépare et qu’il rend inévitable après. On n’est pas impunément le chef, c’est-à-dire le prisonnier du parti de la démagogie. M. Caillaux est allé à Pau et il a été un des rédacteurs, probablement même le principal rédacteur du programme qu’a voté dans cette ville le Congrès radical-socialiste. Tous les projets financiers qu’il élabore en ce moment et dont il serait fort embarrassé de voir aboutir un quelconque d’entre eux avant les élections, s’imposeront à lui, tout le premier, le lendemain, si son parti a triomphé : il faudra alors qu’il les fasse triompher aussi et il s’y emploiera, on peut en être sûr, sinon sans appréhensions secrètes, au moins sans scrupules. Et ce n’est pas tout. Les deux principaux résultats d’une victoire électorale remportée par les partis socialiste et radical-socialiste seront une perturbation profonde dans notre système d’impôts et le retour au service militaire de deux ans. Voilà pourquoi les élections prochaines nous inquiètent si fort : à l’avenir qu’elles nous réservent est attachée la vie même du pays.

Laissons de côté pour le moment les réformes fiscales, nous aurons, et même souvent, l’occasion d’y revenir. Il n’est pas probable qu’elles se produisent d’une manière « catastrophique, » pour emprunter un mot au vocabulaire des socialistes unifiés : il y aura des reprises successives et des délais. Mais la loi de trois ans, cette loi qui a été discutée si laborieusement et qui, surtout depuis l’avènement du Cabinet actuel, est l’objet d’attaques si vives, cette loi courra un danger plus immédiat. Les socialistes unifiés d’une part, les radicaux-socialistes et les radicaux sans épithète de l’autre, lui ont voué une haine à mort, soit que vraiment ils la détestent et qu’ils voient en elle, comme M. Jaurès en son langage apocalyptique, une sorte de monstre qui nous ramène aux plus sombres époques de barbarie, soit qu’ils