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la gravité des circonstances ; il suffit de lire attentivement les journaux et leurs dépêches. Les renseignemens ne manquent pas, ils viennent même avec abondance de tous les côtés à la fois et les préoccupations qu’ils font naître vont plutôt en augmentant qu’en diminuant. Les Balkans n’ont pas encore retrouvé leur équilibre ; ils ne le retrouveront pas de sitôt. Jusqu’à ce qu’ils l’aient fait pourtant, la situation de l’Europe demeurera incertaine et il faudra, suivant un vieux mot, continuer de s’attendre à l’imprévu. Depuis quelques jours, les nouvelles d’Orient sont à la vérité un peu meilleures, ou un peu moins mauvaises, mais combien fragile est l’espérance qu’il est permis d’en concevoir !

Ce sont toujours la question albanaise et la question des îles qui posent devant la diplomatie des problèmes dignes du sphinx. L’Albanie n’a pas cessé d’être en proie à l’anarchie la plus confuse et, par endroits, la plus violente : elle y est entretenue par les prétentions contraires de plusieurs chefs. Pendant ce temps l’Europe est lointaine et absente ; elle n’est représentée que par une Commission dont les pouvoirs sont mal définis ; elle ne le sera d’une manière plus effective que lorsque le prince de Wied aura pris possession de ses États. Nous avons déjà dit combien sa présence était urgente. Certes, sa situation sera difficile, probablement même dangereuse, mais enfin il représentera l’Europe et il faut espérer, quoique nous n’en soyons pas bien sûr, que l’Europe jouit encore, dans ce pays arriéré, d’un prestige assez grand pour faire tenir en bride les ambitions locales. Ces ambitions, si nous négligeons les moindres, étaient surtout celles d’Essad pacha et d’Ismaïl Kémal. Il semble, et c’est un fait heureux, que ce dernier ait quitté la partie. Il s’est rallié au prince de Wied, il est allé le rejoindre. Reste Essad pacha dont les intentions sont équivoques. Tantôt on annonce qu’il a livré des batailles et remporté des victoires, tantôt ces nouvelles sont démenties et on ne sait plus ce qu’il faut penser des projets de l’aventurier. Peut-être fera-t-il à son tour sa soumission au prince de Wied, et c’est ce qu’il faut souhaiter, mais sa loyauté demeurera suspecte, et, d’ailleurs, à défaut de lui, d’autres entretiendront en Albanie le désordre et l’insécurité. Le prince de Wied ne pourra dominer la situation que si les Puissances mettent à sa disposition les ressources, c’est-à-dire les forces nécessaires ; mais le feront-elles, et comment, et dans quelles proportions respectives ? Ces questions ont déjà été agitées dans les journaux d’une manière peut-être inopportune. On a dit que certaines Puissances n’avaient eu aucun intérêt à la création de l’Albanie et que c’était aux autres qu’il