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donne à penser qu’après tout il y avait un naïf dans cet impertinent et dans ce révolté !

Sa famille l’envoya faire un voyage sur le Continent en compagnie d’un mentor qui dut être, pendant plusieurs années, l’homme le plus malheureux du monde. Nous suivons l’étrange couple à Wiesbaden, puis à Paris, puis en Amérique ; ils se brouillent, se séparent, se rapprochent pour se brouiller de nouveau. C’est à Mexico qu’éclate la rupture définitive. Le pauvre mentor imagine, pour mettre son jeune compagnon à la raison, de lui couper les vivres ; sans s’émouvoir, Henry Labouchere répond à cette menace par un ultimatum et donne un mois à son mentor pour renoncer à son absurde système. Au bout d’un mois, le mentor n’étant pas plus raisonnable, le jeune chercheur de sagesse se lance, sans argent, à travers le continent américain, où il traverse les aventures les plus fantastiques. Pendant six mois il accompagne dans ses pérégrinations une tribu d’Indiens chippeways. Puis il s’attache à un cirque ambulant dont la principale écuyère lui a inspiré une passion violente. Il fait partie de la troupe et, en cette qualité, reçoit à la porte le paiement des billets en argent ou en nature.] Il prend une part active à certaines représentations auxquelles il fournit un numéro plus ou moins intéressant. Vingt ans après, il montrera à ses amis, encadrée sous verre et clouée au mur, une affiche qu’il a conservée et qui annonce les sauts à pieds joints de M. Labouchere. Je ne sais ce que pensa le public yankee de ses talens comme sauteur, mais le plus mémorable de ces sauts est celui qui le fit passer brusquement de cette humble position à celle d’attaché à la légation britannique de Washington. Évidemment, sa famille était intervenue pour opérer le sauvetage du jeune vagabond. A Washington, il étonna son chef et s’étonna lui-même par son assiduité au travail. « Vous vous trompez étrangement, lui dit M. Crampton avec bonhomie, si vous vous imaginez qu’on fait son chemin dans la diplomatie en travaillant. Il vaudrait infiniment mieux pour vous être le cousin au seizième degré du concierge du Foreign Office. » Henry Labouchere se le tint pour dit.

Il eut de plaisantes aventures à cette époque, mais il en eut tant que je suis embarrassé de choisir, surtout quand je songe aux innombrables histoires qui vont suivre. Quand on parle de Labouchere, il faut beaucoup omettre, beaucoup sacrifier ;