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mage, descendant au centre de la terre pour y trouver l’éternel repos, ou bien s’élevant presque dans les astres, ou mieux encore s’endormant au fond des mers qu’avait jadis sillonnées le Nautilus, parmi les coraux et les algues. « Tels furent tes rêves, ô Mage chenu. Maintenant, tu reposes dans la profonde vérité de la Mort ; et nous, de toutes parts, la réalité nous presse, dans les mille épreuves de nos jours laborieux. Cependant elle passe dans d’autres âmes neuves, ta Fable sereine… »

Rien d’étonnant, après cela, à ce qu’il ait été non seulement traduit, mais imité. Jules Verne a eu en Italie un pasticheur attitré, Salgari. Abondant, inépuisable, Salgari a multiplié les Rois des mers, les Fils de l’air, et les Hommes de feu. Il a traversé l’Atlantique en ballon, a fait Deux mille lieues sous l’Amérique, et a même poussé jusqu’au Pôle Austral en bicyclette. Plus romanesque que son modèle français, plus curieux des effets tragiques ou mélodramatiques, sa psychologie est moins fine, et sa science moins habile. On lui a reproché de trop nombreux incendies, et une prédilection excessive pour les crimes noirs ; il aurait mieux fait sans doute de ne pas parler des Horreurs de la Sibérie, et de ne pas conduire les jeunes gens dans la Cité des Lépreux. Pour qu’un livre d’aventures soit tout à fait moral, il ne suffit pas que le vice soit puni et la vertu récompensée, à la fin : encore faut-il que l’émotion n’aille pas jusqu’au trouble, ni la crainte jusqu’à l’angoisse. Mais, malgré ces défauts, Salgari n’en a pas moins su trouver, à la suite de Jules Verne, le grand secret, qui est de plaire. Ce sont les critiques qui le discutent, non pas les grands garçons de douze ans, qui racontent, excités encore par le plaisir d’avoir eu peur, les péripéties de ses drames. La « Nuova Georgia, » beau navire parti de Yokohama pour transporter des tigres en Australie, sous les ordres du capitaine Hill, vieux loup de mer, qui voyage en compagnie de sa fille Anna, fuit devant la tempête. Cris dans la nuit : c’est un naufragé qui implore du secours. On le sauve ; il s’appelle Bill ; il a laissé ses compagnons, naufragés comme lui, sur les rochers d’une des îles Fidji ; si on ne vient à leur aide, ils seront la proie des anthropophages. Le capitaine Hill n’hésite pas : il changera la route de son navire, et fera prévaloir l’humanité sur ses intérêts. Mais nous nous doutons bien que ce Bill est un traître ; nous voyons a ses poignets la marque des chaînes ; nous comprenons qu’il fait partie d’une bande de