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Pinocchio n’est pas méchant ; et même, s’il suffisait d’avoir de bonnes intentions pour être parfait, Pinocchio serait de tous les petits garçons le plus vertueux, car les siennes sont excellentes. Seulement, il est faible. Il professe volontiers qu’il ne faut pas résister à la tentation, parce que c’est là temps perdu. Ce qu’on lui défend a toujours un peu plus d’attrait que ce qu’on lui commande. Le repentir suit de près la faute ; mais la faute suit de près le repentir. Il ne lui déplairait pas de savoir sans apprendre ; il habite pendant quelque temps ce pays de badauderie dont un ami lui vante le charme : on n’y fait l’école ni le jeudi, ni le dimanche, et les semaines sont composées d’un dimanche et de six jeudis ; les grandes vacances y durent depuis le premier janvier jusqu’au trente et un décembre ; on se divertit toute la journée, le soir, on se couche, et, le lendemain, on recommence. Pinocchio ne dédaigne pas d’avoir recours à de petits mensonges pour dissimuler ses peccadilles ; il ne confesse la vérité que lorsque son nez, son grand nez pointu, s’allonge démesurément. Pinocchio est fanfaron : viennent les assassins, à l’entendre, il leur tiendra tête : à peine aperçoit-il leur ombre, qu’il détale éperdument. Comme ses petits amis, Pinocchio est batailleur, et appuie volontiers son droit ou ses prétentions de la force de ses poings. Comme eux, Pinocchio aime les farces, excepté celles qu’on lui veut faire ; il est plein d’amour-propre, tient à se montrer au premier rang, et cède toujours aux sollicitations du point d’honneur quand il s’agit de sottises. Toutes les manies de l’enfance, celle de ne pas prendre médecine ou celle de ne pas vouloir manger de lentilles, bien qu’il ne les ait jamais goûtées ; tous les petits égoïsmes, qui croissent sournoisement jusqu’à planter les plus fortes racines, si on ne prend soin de les arracher à temps ; toutes les qualités de l’enfance aussi, l’affection sincère et profonde, la confiance d’un cœur qui n’a pas encore été trompé, le besoin d’être aimé qui force l’amour : tout cela apparaît si clairement que même un lecteur de dix ans ne saurait s’y tromper, chez Pinocchio le malin, le subtil ou le tendre.

C’est là, dans la fusion de ces deux élémens, le merveilleux, qui fournit aux enfans un aliment nécessaire, et l’observation psychologique, qui leur permet de prendre conscience d’eux-mêmes, que se trouve le secret du charme de Pinocchio. Parlez de l’amour paternel ; dites que la vie du chef de famille est un