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spectacle, — l’émotion esthétique pure étant ici une manière d’irrespect ; — que la parade doive évoquer l’image du champ de bataille, et qu’ainsi on s’habitue à comprendre dès l’enfance ce que le patriotisme a de grave et de tragique : ce sont là recommandations bonnes à faire dans tous les pays ; et nous n’y saurions reconnaître l’empreinte d’une nationalité spéciale. Mais l’auteur a eu le souci d’écrire un véritable bréviaire de l’unité. Il veut que les enfans n’oublient pas ce qu’elle a coûté aux pères ; et qu’elle ne soit pas seulement réalisée dans les faits, mais sacrée dans tous les cœurs. La scène se passe à Turin ; et plus d’un détail nous rappelle les mœurs piémontaises. Or, dès la première semaine de l’année scolaire, le directeur entre en classe pour présenter un jeune Calabrais nouveau venu. Le maître prend la parole : « Rappelez-vous bien ce que je vous dis. Pour qu’il pût arriver qu’un enfant calabrais fût chez lui à Turin, et qu’un enfant de Turin fût chez lui à Reggio Calabria, notre pays a lutté pendant cinquante ans, et trente mille Italiens sont morts… A peine le Calabrais fut-il assis à sa place, que ses voisins lui donnèrent des plumes et une image ; et un élève du dernier banc lui fît passer un timbre de Suède. » — De même : le jour de la distribution des prix, les élèves auxquels on confie la mission enviée de porter les volumes aux autorités, pour que celles-ci les remettent à leur tour aux lauréats, ne sont pas choisis au hasard. On prend un Milanais, un Florentin, un Romain, un Napolitain, un Sicilien, un Sarde : image de l’unité italienne : la patrie tout entière, par ce symbole, assistera à la fête. — Chaque mois, le maître lit un récit, a la grande joie de la gent écolière : examinons les titres : le petit patriote de Padoue ; la petite sentinelle lombarde ; le petit copiste florentin ; le petit tambour sarde… L’intention est toujours la même : il faut que chaque province soit représentée, et qu’elle vienne se fondre dans la grande unité de la patrie. La génération aujourd’hui dans la force de l’âge, qui vient d’emporter l’Italie, d’un mouvement irrésistible, vers les conquêtes, est celle qui a lu Cuore.

Six cent mille exemplaires écoulés en moins de trente années prouvent le succès du livre dans son milieu. Mais vingt-cinq traductions, dont trois en français, trois en anglais, et même, rencontre plus rare, une en arabe et une autre en japonais, prouvent aussi que sa renommée s’étend à travers le