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de mots, quelque hymne entier plein de passion et de lyrisme.

Alors se fait le point de départ entre ceux qui admireront l’œuvre de M. Paul Claudel et ceux à qui elle demeurera, de leur propos délibéré, étrangère. Certaines natures d’esprits ne s’accommoderont jamais d’un lyrique et d’un mystique. Et de plus, une incompatibilité peut s’élever entre les meilleurs esprits et l’aspect proprement littéraire de son œuvre. D’autre part cependant, des lecteurs passionnés l’admirent, et bien des jeunes gens le prennent pour maître. Il y a donc à son propos une double manière de penser et je voudrais l’étudier.

Un écrivain mérite-t-il qu’on s’attache ainsi à savoir pourquoi on lui est sympathique ou hostile ? Oui, s’il a une méthode d’art assez nouvelle, assez importante et assez influente pour qu’on s’en occupe au point de vue français ; et si ce qu’il dit va assez loin dans le domaine de la pensée pour que l’esprit y soit irrésistiblement intéressé. C’est donc ce qu’il s’agit de savoir.

« Nous ignorons, disent les uns, M. Paul Claudel, et nous persisterons, jusqu’à changement de sa part, à l’ignorer. Nous ne l’entendons pas. Si, comme nous nous en sommes aisément rendu compte, il y a quelques beautés dans ses ouvrages, elles sont perdues dans un amas d’obscurités où aucune raison ne nous incite à les aller chercher. Il parle une langue où nous ne distinguons pas le français. Il compose suivant un processus où nous ne reconnaissons pas notre génie. Une œuvre obscure n’est pas viable, et il serait dommage qu’elle le fût. Aucune raison n’excuse de forcer ainsi notre langue qui est claire par-dessus toutes, et c’est nous mal servir de notre héritage que d’en fausser le caractère essentiel. Que l’on puisse séduire par un éloquent désordre et par de somptueuses obscurités, nous le reconnaissons en le déplorant, mais l’art et l’art français surtout veut qu’on porte la pensée jusqu’à ce point de perfection où elle est lumineuse pour tous, et l’expression jusqu’à ce point de transparence où elle devient un divin plaisir. »

Et les autres, qui ont écouté avec quelque impatience ces sages théories parce que, arrivés à l’autre bout du chemin, ils pensent que c’est là perdre du temps, répondent avec vivacité que rien de tout cela ne leur importe et qu’il faut « venir voir. » Comme ceux qui, ayant franchi un chemin malaisé, ont découvert un large pays et pressent leurs amis de les suivre, ils soutiennent que M. Paul Claudel leur a beaucoup appris ; qu’ils