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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/150

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mystique de l’époque « géniale » au delà du Rhin. Avant Char- lotte en effet, la jeune Auguste se voit tuyoyée, apostrophée avec un mélange de familiarité et d’emportement qui est la chose la plus amusante du monde : elle ne s’en crut pas plus coupable pour cela cependant ! Avec le ménage Kestner après Wetzlar, beaucoup plus tard avec les Willemer de Francfort, Goethe prit, en tout bien tout honneur, à peu près les mêmes libertés qu’avec le ménage Stein entre 1775 et 1788.

Non, Charlotte mariée à un homme excellent, mais d’esprit vulgaire, préparée d’ailleurs à comprendre l’exaltation sentimentale chez autrui par l’atmosphère morale de son époque, Charlotte ne se crut pas même imprudente sans doute, — après avoir triomphé des premiers scrupules que nous avons soulignés chez elle, — lorsqu’elle permit à un ami si soigneusement maintenu dans les limites de son rôle, le tutoiement qui apparaît çà et là dans les lettres de Gœthe et les exagérations de langage dont il fut de tout temps prodigue envers elle. Ces façons-là lui paraissaient devoir être tolérées chez un grand artiste, chez un privilégié du génie. Encore ramenait-elle de son mieux son ami, par intermittence, à des formules plus respectueuses et n’acceptait-elle les épithètes adoratrices qu’à la louange de ses qualités morales, la morale étant le terrain d’élection sur lequel elle s’efforça sans cesse de maintenir leurs relations quotidiennes. La preuve en est qu’on serait fort embarrassé s’il fallait tracer un portrait physique de la baronne d’après les mille lettres ou billets que lui adressa son adorateur !


IX

N’est-il pas frappant aussi qu’à partir de ce printemps 1781, date que certains historiens de Gœthe ont considérée comme celle de son triomphe amoureux, ses lettres indiquent une préoccupation de moralisme plus évidente que jamais. Nous en indiquerons par quelques citations le caractère. Dans un billet, écrit trois jours seulement après l’apostrophe à la « nouvelle, » le 26 mars 1781, — billet où le vous alterne une fois de plus avec le tu, — l’ami conclut de la sorte : « Termine ta bonne œuvre : conserve-moi dans le bon et dans la jouissance du bon. » Puis le lendemain 27 : « J’ai chanté dans le silence du matin un hymne de louange aux femmes en général et à toi en particulier. La