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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/154

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d’être assuré contre le retour d’une pareille crise entre nous ! » Voilà le tempérament de Goethe dans toute sa vérité frémissante, et ceux qui tiennent pour son égoïsme imperturbable et contre son émotivité sincère n’y ont donc pas regardé d’assez près, on en conviendra sans doute. Mais quelle ténacité, quelle étendue d’influence de la part de Mme de Stein ne révèlent pas de semblables paroxysmes, surtout si l’on songe que l’amour de Gœthe est alors vieux de près de sept ans déjà, que la femme qui l’inspire en a quarante et que cet amour fut nourri dans la sphère des idées pures comme nous avons tenté d’en communiquer la persuasion à nos lecteurs. L’appréhension d’analogues secousses mentales, qu’il n’était pas de force à subir, fut vraisemblablement pour quelque chose dans la fuite de Gœthe vers l’Italie quatre ans plus tard.

Pour cette fois, la paix est enfin rentrée dans le cœur de l’ami : comme à son ordinaire, le mari a prêté son concours à l’accord : « Stein me dit que tu veux sortir avec moi en voiture, » écrit Gœthe le 5 août, et les conversations sans fin de reprendre : « Je suis si habitué à être prolixe vis-à-vis de toi, à te confier tout ce que je pense, qu’il me devient difficile de te l’écrire. Tout se présente à la fois à mon esprit, et je voudrais tout te dire d’un seul mot ! » — Le 10 septembre 1782, il adresse à Charlotte qui part pour Kochberg un beau poème, tout parfumé de morale stoïcienne :


Von mehr als eine Seite verwaist,
Klag ich um deinen Abschied hier !
Nicht allein meine Liebe verreist,
Meine Tugend verreist mit dir


« Ce n’est pas seulement mon amour qui s’éloigne, c’est ma vertu qui me quitte avec toi... La passion, la légèreté m’entraînent... Ange gardien, accours à moi, etc. »

Cette année 1782 marque assurément le zénith du règne de Charlotte. Depuis 1783, un sourd travail de détachement a dû commencer dans le cœur du poète, si nous en jugeons par ses décisions, ainsi que par ses commentaires ultérieurs. Rien n’en transparaît toutefois dans ses lettres, et nous glanerons encore quelques traits caractéristiques dans la correspondance des quatre années qui précèdent le voyage italien de Gœthe. Le prince Constantin de Weimar, frère cadet du duc Charles-Auguste,