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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/173

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discours prononcés du 8 mars au 1er avril sont parmi les plus éloquens qui nous soient parvenus, et combien le tribun exalté fait tort au politique conciliateur !

Entendit-il en finir tout de suite ? Fut-il derrière les meneurs qui, les 9 et 10 mars, tentèrent de soulever Paris contre la Gironde ? Il se peut. C’est des Cordeliers que partit le signal. L’émeute ayant échoué, il combattit Vergniaud, demandant la punition des coupables. Une parole de l’orateur girondin eût pu cependant le frapper : « Il est à craindre que la Révolution, comme Saturne, ne dévore successivement tous ses enfans. » L’exécution des Girondins, avant huit mois, lui donnera raison, mais aussi, avant treize, celle de Danton. Et leur perte, à tous, était en germe dans leur querelle désormais inexpiable ?

Si Danton voulait qu’on fermât les yeux sur l’émeute, c’est aussi qu’on avait besoin de Paris. Comme en juillet 1792, la Patrie « était en danger, » Dumouriez reculait ; mais, exaspéré, il menaçait par surcroît de trahir. Et tout, derechef, semblait près de craquer. Loin de le réprimer, il fallait au contraire surexciter le génie de la Révolution, prendre de grandes mesures, des « mesures révolutionnaires. » Danton les exigeait, son œil menaçant fixé sur la Droite.

Le 10 mars, il prononça deux grands discours : celui du matin est d’un grand patriote, celui du soir d’un révolutionnaire que tout surexcite.

L’appel au courage fut admirable. « Il ne nous faut que des hommes et la France en regorge ! » Ce fut son premier mot. La France s’allait dresser. Contre qui porterait-elle ses coups ? Ici se découvre le génie politique d’un Danton : s’affranchissant de sa sympathie pour l’Angleterre, il l’aperçoit maintenant, avec une claire vue, au centre de la coalition. C’est elle qui, désormais, par son or va essayer de triompher de la liberté française. Bonaparte la dénoncera sans cesse, cette Albion, comme l’éternelle ennemie ; mais Bonaparte n’aura alors qu’à regarder le drame qui, depuis 1793, se sera déroulé. En 1793, il faut un singulier instinct politique pour désigner si sûrement du doigt la vraie ennemie. Désormais on est « Rome, » elle est « Carthage. » Comment réduire « Carthage ? » En frappant son commerce (c’est déjà l’idée du blocus continental) : « Prenons la Hollande, et Carthage est à nous ! » Affamée, l’Angleterre renversera Pitt et devra venir à résipiscence.