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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/185

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demander des têtes. L’Assemblée ne les voulait pas livrer, mais, assiégée et prenant peur, elle cassa la Commission.

Il y a peu d’apparence que Danton ait entendu qu’on allât plus loin. Le 31 mai le satisfaisait : le 2 juin le dépassa. On sait comment, ce jour-là, la Convention, assiégée encore, mais cette fois par une véritable armée, capitula devant les canons du « général » Henriot. On vit, dira-t-on, Danton aller serrer la main du général, lui criant : « Tiens bon. » Il se peut. Il n’avait pas désiré le coup de force, mais, l’émeute triomphant, il ne tenait nullement, pour la défense de ses « ennemis » de la veille, à se brouiller avec la rue.

Il espérait encore que la mise hors de Convention des Girondins, décrétée sous la pression de l’émeute, n’aurait nullement comme conséquence forcée leur mort ni même leur détention. La preuve en est que, le 7 juin, il proposera à la Convention de « donner des otages aux députés détenus. » Ce sera une dernière velléité. Il pleurera leur mort, mais après être, nous le verrons, resté quatre mois sans rien tenter pour eux. Il dira et répétera que, pendant six mois, il a tout fait pour éviter le conflit, et que c’étaient eux qui « avaient refusé de le croire pour se donner le droit de le perdre. » La veille de sa propre mort, hanté par ce remords d’avoir, en jetant bas les Girondins, acheminé les malheureux à la guillotine, il se donnera comme consolation suprême que « Brissot l’eût fait guillotiner lui-même comme Robespierre, » — ce qui n’est pas sûr.

En tout cas, il leur gardait une rancune que, dans les derniers jours, il formulera : en le méconnaissant, ces gens l’avaient jeté dans les bras de Robespierre.

Il avait raison de le regretter, car, en le jetant dans les bras de Robespierre, l’événement le mettait entre ses mains. La Gironde proscrite, la suprématie passait à la Montagne. Mais beaucoup de gens de ce côté ne pardonnaient qu’à moitié à Danton son attitude conciliante et modérée des premiers mois et désormais le suspectaient de « faiblesse. » Robespierre va, avant peu, profiter de cette situation pour l’éliminer du Comité, le paralyser ensuite à la Convention et enfin le pousser à l’abîme. Quand, dans l’hiver de 1794, Danton cherchera, à son entreprise hésitante de réaction anti-terroriste, un appui sur les bancs de l’Assemblée, son regard se reportera souvent sur les bancs tragiquement vides de la Droite girondine.