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qu’il appelle aussi la « voyance ; » et je n’aime pas beaucoup ce mot, certes : mais il ne s’agit point de mes goûts. M. Édouard Schuré est donc un « voyant. » Il nous en avertit : informés, nous n’irons pas lui demander ses preuves, comme à un philosophe ordinaire. Il échappe ainsi à nos petites querelles et chicanes, de par son principe. Et l’on dira : — C’est bien commode ! — Ce l’est assez. Toutefois, ne nous figurons pas l’auteur de la Druidesse qui monte sur un trépied, soudainement, et vaticine. Aujourd’hui, la prophétie elle-même a des façons un peu scientifiques ; et elle interroge l’histoire, sinon avec toute la précaution recommandable, du moins avec une ingénieuse curiosité. Ses prophéties, M. Édouard Schuré ne les invente pas absolument : il en trouve l’essentiel dans le passé. Ou bien, s’il les invente, il leur trouve des garanties dans le passé. Voici comment, ou à peu près.

Au mois de mai 1911, pour un livre que MM. Alphonse Roux et Robert Veyssié préparaient et qu’ils viennent de publier, Édouard Schuré, son œuvre et sa pensée, le maître a composé un excellent résumé de sa doctrine. Sa « confession philosophique » sert de préface à l’étude que lui consacrent ses deux jeunes admirateurs. Eh bien ! reportons-nous à ce document si précieux. M. Édouard Schuré considère que le monde n’est et n’a jamais été abandonné à l’ignorance ; qu’il y a, dans le monde, une sagesse primordiale, une sagesse éternelle, perennis quædam philosophia, qui offre à tous esprits humains la vérité universelle et achevée. Mais, dirons-nous, l’on ne s’en aperçoit guère ; et, quand nous lisons l’histoire, nous y voyons la lutte des erreurs, le combat des passions, une formidable mêlée : le règne tranquille de la vérité, à quel moment apparaît-il ? M. Édouard Schuré n’est point touché de cette objection. Il avoue que la sagesse primordiale n’a presque jamais « gouverné officiellement. » Il ajoute que la sagesse primordiale « n’est consciente et puissante que dans les vrais sages, voyans, initiés, prophètes, génies créateurs de tout ordre. » Concluons que les vrais sages sont rarement au pouvoir : et, sans doute, c’est là le malheur du monde !… Depuis le temps que nul vrai sage ne s’est montré efficace, ne devons-nous pas craindre que la sagesse primordiale ait disparu, trésor évanoui, secret gaspillé, perdu ? Non. Et, si nous étions sur le point de nous décourager, M. Édouard Schuré secouerait notre chagrin ; car il écrit : « Nous sommes tous des inspirés, d’une certaine manière et dans une certaine mesure… » Tous ! et quelle aubaine !… « Seulement, nous n’en savons rien. » Et ainsi tout se passe comme si nous n’étions pas des