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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/215

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cages, 10 souris sur 10 sont devenues cancéreuses par contagion, alors que, dans des cages voisines, toutes restaient indemnes : tout ou rien.

D’autre part, on peut invoquer à l’appui d’une origine virulente et externe du cancer la remarque du professeur Quénu : que le cancer est surtout extrêmement fréquent au niveau des organes en large contact avec le milieu extérieur et très rare dans les organes profonds ; tandis que le cancer des voies digestives et du sein sont d’observation courante, ceux de la glande thyroïde et des organes cachés sont une rareté.

La théorie de l’irritation est toute différente : d’après elle, la prolifération cancéreuse des cellules ne serait nullement engendrée par un agent spécifique, un virus, un parasite, mais seulement par une sorte d’état inflammatoire des cellules dû à des causes variées d’irritation chronique (mécaniques, physiques, chimiques ou même microbiennes). Des cellules ainsi irritées, un certain nombre s’accoutumeraient peu à peu à des conditions anormales de nutrition et de reproduction ; par une sorte de sélection pathologique, et l’exagération de leurs réactions définitives, elles acquerraient cette autonomie anarchique qui aboutit au cancer. Les deux théories, en somme, admettent le rôle de l’irritation cellulaire, mais, dans la première, celle-ci sert seulement à frayer les voies au virus pathogène ; dans la seconde, elle suffit à créer la maladie. Le cancer bien connu des radiologistes (dont le pauvre Radiguet et tant d’autres sont morts) survenant à la suite de l’irritation répétée causée par les rayons X paraît à cet égard au docteur Ménétrier une preuve sans réplique. Mais les partisans de la doctrine virulente lui répondront sans peine que les rayons X ont pu frayer seulement la voie au virus latent autour du sujet.

En somme, la querelle n’est pas tranchée, adhuc sub judice lis est. Tant mieux, car du choc des doctrines jailliront de nouvelles expériences, et c’est l’expérience seule qui nous donnera la vérité.

Les contributions théoriques que M. Le Dantec vient d’apporter à la doctrine irritative du cancer et auxquelles nous avons déjà fait allusion sont tellement ingénieuses, suggestives et originales que nous ne pouvons les passer sous silence : pour lui, — il développe cette idée avec une logique si ingénieuse que le talent du plaidoyer vous emporte sans vous laisser presque la force de résister, — pour lui, dis-je, nous serions tous candidats au cancer dans une de nos innombrables cellules. Sous l’influence des excitations extérieures, l’une d’elles finit par se rebiffer, si j’ose dire ; elle se défend de son mieux, acquiert des qualités nouvelles de résistance et de vigueur