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votés, les autres ne le sont pas. Le bon sens indique qu’il faut détacher ces deux premiers titres des autres, les faire voter par le Sénat, puis les porter à la Chambre, les lui soumettre et les lui faire voter. Ces deux premiers titres se rapportent à l’impôt foncier sur les propriétés non bâties dont on peut dès maintenant assurer la péréquation, et aux valeurs mobilières, Ce n’est pas toute la réforme rêvée par M. Caillaux, mais c’en est une partie, la seule qui soit immédiatement réalisable, la seule par conséquent qu’il faille immédiatement réaliser. On a pu croire un moment que M. Caillaux entrerait dans cette voie qui est celle du bon sens. On a écouté avec attention, un peu avec surprise, un discours de lui où, dans des termes qui n’étaient pas à la vérité très explicites, il semblait chercher des formules de conciliation et de transaction. Mais alors, que s’est-il passé ? Le mystère n’en est pas encore dissipé. Il y a eu une suspension de séance : à la reprise, quand M. Caillaux est remonté à la tribune, il y est apparu dans toute son intransigeance. Avait-il reçu les admonestations de ses amis ? Avait-il subi leurs injonctions ? Quoi qu’il en soit, il était un autre homme, affirmant la nécessité de faire toute la réforme en même temps, parlant sans ambages de la déclaration que le contribuable devrait faire et que l’administration devrait contrôler, reprenant enfin son projet dans sa totaUté et le présentant par ses côtés les plus rébarbatifs. C’est alors que M. Ribot, dans une improvisation courte, serrée, pressante, a mis son interlocuteur au pied du mur. — Quand les deux premiers titres seront votés, lui a-t-il demandé, les apporterez-vous à la Chambre et lui demanderez-vous de les voter sans attendre le reste ? — Je demanderai au Sénat, a répondu M. Caillaux, de discuter ce reste. — Nous le ferons, a répliqué M. Ribot ; nous y mettrons la meilleure volonté ; mais nous ne pouvons pas promettre d’aboutir tout de suite : encore une fois, que ferez-vous des deux premiers titres ? — M. Caillaux est resté muet, il s’est refusé à s’expliquer, pourquoi ? Il est facile de le comprendre. — Vous n’êtes pas seulement ministre des Finances, lui a dit M. Ribot, vous êtes encore le chef d’une association électorale. — En effet, M. Caillaux n’est plus libre ; il a cessé de s’appartenir ; il est le chef d’un parti qui, en le portant, le pousse ; il est le chef d’une association électorale qui a des exigences inexorables. Nos finances en souffrent, le budget est exposé à rester en perdition, une crise économique grave sévit sur le pays. Tout cela est fâcheux sans doute, et M. Caillaux le regrette, mais il est l’homme-lige d’un parti qui met son intérêt au-dessus de celui du pays.