de ses lettres : « L’extérieur finira, il ne restera de permanent que l’intérieur. » Nulle formule qui exprime mieux sa foi. L’univers disparaîtra pour faire place à de nouveaux cieux et des terres nouvelles. La vie matérielle, visible, doit se dissoudre, pour que se manifeste la vie cachée et divine. Notre corps se corrompt, mais c’est à mesure que l’homme du dehors se détruit, que l’homme du dedans se renouvelle. Que faut-il encore pour qu’il s’achève ? Qu’il brise ses derniers liens. Dépouiller le vieil Adam, rompre avec la chair, mourir « toute vivante, » voilà à quel prix l’âme atteindra l’amour. Jésus est mort pour nous donner la vie : sachons mourir nous-mêmes, et à nous-mêmes, dans notre corps, dans nos désirs, dans nos pensées, pour réaliser en nous la sienne. C’est la conclusion qui inonde de joie le cœur du poète. Elle se traduit par cet hymne, cet appel enthousiaste :
O mort, vienz...
O doulce mort, gratieuse douleur.
Elle peut venir. Elle est vaincue : l’Amour, « plus forte qu’elle, »
a consommé la vie.
A ces profondeurs de lyrisme et de passion, nous touchons l’âme. Après cela, que, dans ce long poème du Miroir, les autres poésies de 1533, comme l’oraison à « Jésus » ou le « discord de l’homme, » le mysticisme de Marguerite s’épanche en digressions fastidieuses ou dans une préciosité vide, nous n’en sommes pas choqués. Ce qui nous importe, c’est moins la forme de l’œuvre que ses idées. — Idées protestantes, a-t-on dit. — Oui. Si l’évangélisme est un fait protestant. — En réalité, Marguerite est en dehors des confessions trop précises et des doctrines trop définies. Et c’est là encore un des traits de cette nature si complexe que nous ne puissions, avec certitude, mettre une épithète sur sa foi.
Elle a voulu vivre et mourir dans son Eglise, et rien ne nous dit qu’elle en ait repoussé les dogmes. Si, assurément, son œuvre se rattache à cet ensemble d’aspirations un peu vagues, à ces doctrines de foi, de grâce, de déchéance de la nature que l’évangélisme avait éveillées dans les âmes, nous n’y retrouvons aucune des négations spécifiques qui la rapprochent de Luther. Le titre même du Miroir, emprunté à un petit traité du XVe siècle, nous fait croire à une influence de la mystique traditionnelle.