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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/452

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entre les notes et les mots. Il est varié, ce discours, autant qu’il est vif. Il procède volontiers par phrases courtes et promptes, au rythme changeant. Mais ni cette vivacité, ni cette variété n’altère la tenue et la suite d’un style uni, souple sans hachure, et qui, malgré sa liberté, sa fantaisie même, ne se disperse et ne se pulvérise pas. L’orchestre est d’une qualité rare : fluide et fin, svelte, nerveux, puissant quand il faut, mais d’une puissance également éloignée de la lourdeur et de la brutalité. La vie enfin, une vie abondante et chaude anime l’œuvre, la porte et la pousse d’un jet continu. Oui, dans cet organisme bien constitué, chaque cellule sonore est vivante, ne fût-elle qu’un accord, une modulation, l’accent d’un instrument ou d’une voix. Et c’est à cela que se reconnaissent les partitions, trop rares, qu’on peut appeler musicales. Par exemple, que Salud, lasse d’attendre Paco, désespérant qu’il vienne, le voie entrer soudain et s’écrie : « Je croyais déjà mourir de son absence. Et voilà que je succombe à la joie. Quelle joie ! » Sur le mot joie, et mieux encore sur le mot espagnol alegria, c’est assez que se déploie et semble s’ouvrir certaine harmonie, pour attester l’intelligence et la sensibilité d’un musicien véritable. Pour esquisser deux figures accessoires du drame, la grand’mère de Salud et son oncle, qui lui découvre la trahison et se fait ensuite le conseiller et le compagnon de sa tragique démarche, il faut à peine davantage. Quelques mesures de scherzando léger disent la tendresse empressée et gentiment grondeuse de la bonne vieille. Quelques notes, à demi déclamées, chantées à demi, donnent à l’intervention finale du vieillard un ton de gravité farouche et de dramatique ironie. Ici, comme partout ailleurs, la musique se contient et se ramasse. Elle resserre même le dénouement en une courte scène, belle, non pas de violence banale, d’imprécations et de mélodramatiques transports, mais, — ce qui vaut mieux, — de réserve, de douleur maîtrisée et de mourante douceur. Tout y est mesuré, mais juste, mais efficace. Pas un mot n’y est inutile, et pas un son n’y est perdu.

Ne croyez pas cependant que tant de sobriété donne à l’ensemble de l’œuvre de la sécheresse et de la rigueur. La musique parfois s’y détend et s’y dilate. Elle ne s’y refuse pas à toute effusion. Elle s’épanche volontiers en un lied. Au premier acte, certaine causerie, de Salud avec l’aïeule, s’attarde et vraiment s’abandonne. Un peu plus loin, le chaleureux dialogue des amoureux tourne un moment au duo véritable, et c’est peut-être la seule page où sur une musique aussi constamment, aussi purement espagnole, un souffle de l’Italie ait passé.