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M. Jaurès a retiré alors son interpellation : il avait ce qu’il voulait, mais, le lendemain, dans son journal, il a dédaigneusement constaté que le ministre s’était exécuté d’assez mauvaise grâce.

Faut-il croire vraiment que M. Caillaux, ayant changé de point de vue en passant de l’opposition au pouvoir, avait renoncé à taxer la rente ? Tout est possible de sa part ; il nous a donné déjà l’étonnement de plusieurs brusques conversions du même genre ; les journaux s’amusent, matin et soir, à le mettre en contradiction avec lui-même au moyen de citations de ses discours, qui disent tantôt blanc et tantôt noir avec une surprenante désinvolture. Cependant, nous hésitons à croire, de sa part, à une volte-face aussi complète : le plus probable est que, se rendant fort bien compte du mauvais effet que produirait l’impôt sur la rente, il a voulu l’ajourner jusqu’après les élections, ce qui est d’ailleurs une manière de plus de tromperie pays. Mais n’est-ce pas la politique du gouvernement de tout ajourner ? Le programme de Pau n’est-il pas devenu une lettre à échéance ? Dans les élections, les candidats auraient promis tout ce qu’ils auraient voulu ; peu aurait importé, ils n’auraient engagé qu’eux ; aux yeux des rentiers, et ils sont nombreux, le gouvernement aurait paru avoir conservé sa liberté. Par malheur pour lui, il ne l’a plus, et M. Jaurès le lui a fait bien voir. Sans doute M. Caillaux avait-il espéré que M. Jaurès, entrant dans son jeu et en comprenant la finesse, se serait appliqué à ne pas le déranger. Il n’en a rien été, et M. Caillaux a été obligé de s’exécuter. Dès le jour même de l’interpellation, en descendant de la tribune, il a écrit une lettre à M. Poirrier, président de la Commission du Sénat, pour lui annoncer et lui envoyer un projet d’impôt sur la rente : la Commission, il est à peine besoin de le dire, l’a repoussé à l’unanimité.

Il est un point sur lequel nous n’insisterons pas ; à quoi bon ? Nous ne pourrions rien dire qui ne soit venu naturellement à tous les esprits. Parmi les oublis extraordinaires qu’a commis M. Caillaux, l’un d’eux a été particulièrement regrettable : à côté du ministère des Finances et du Parlement, il y a la Bourse, et, bien que ce soient là des institutions très différentes, elles ne laissent pas d’avoir des relations entre elles ; elles influent les unes sur les autres ; elles ne peuvent pas s’ignorer. Ce qui devait arriver est arrivé. Quand M. Caillaux a présenté un projet d’impôt sur les revenus, à l’exclusion de la rente, naturellement celle-ci a monté : quand il a déposé en effet un nouveau projet qui la soumettait à l’impôt, naturellement la rente a baissé. De là des spéculations dont on a beaucoup parlé. — Tout le