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de prévenir par une action immédiate un péril qui va sans cesse en augmentant. La théorie de la guerre préventive est discutée en ce moment dans toute l’Allemagne : on y rappelle avec complaisance que Bismarck y a eu recours avec un succès tout à fait propre à encourager l’imitation. On suppute froidement quelle augmentation de forces la Russie aura dans un an, dans deux ans, dans trois ans, et on affecte de s’en effrayer : peut-être même le fait-on sincèrement.

II va sans dire que nous ne sommes pas oubliés dans cette affaire et bien que, pour le moment du moins, le gros de l’orage ne porte pas sur nous, on recommence contre notre Légion étrangère la campagne qui, après avoir été poursuivie avec la violence et la mauvaise foi que l’on sait, avait fini par s’apaiser. Des bourrasques du même genre s’élèvent quelquefois en Allemagne ; nous en avons subi nous-mêmes un grand nombre qui, après avoir grondé terriblement sur notre tête, n’ont pas eu d’autres suites : aussi avons-nous fini par nous y habituer, les prenant toujours au sérieux sans doute, mais ayant cessé de les prendre au tragique. Le plus souvent, l’intention assez transparente était de préparer l’opinion allemande à s’entendre demander et à obtenir d’elle un nouvel effort militaire, et il est bien possible qu’il en soit ainsi cette fois encore. Il y a toutefois, dans la campagne actuelle, quelque chose d’imprévu : c’est que, au lieu d’être tournée spécialement contre nous, elle l’est contre la Russie. Naturellement, c’est notre alliance qu’on accuse, et on va jusqu’à déclarer que, aussi longtemps qu’elle existera, la Russie méritera et justifiera toutes les défiances. Faut-il s’en alarmer ? Si nous en jugeons par notre propre expérience, les menaces de ce genre produisent, auprès d’une nation fière, un effet diamétralement opposé à celui qu’elles se proposent. Il y a quelques années, on nous menaçait des pires catastrophes si, au lien qui nous unissait déjà à la Russie, nous en ajoutions un autre avec l’Angleterre. Nous avons fort bien senti le danger, mais pour le conjurer nous avons pensé que le mieux de notre part était justement de resserrer avec l’Angleterre le lien que nous avions déjà commencé à former, et nous ne nous en sommes pas mal trouvés. Il est à croire que la Russie éprouvera un sentiment analogue en songeant qu’elle ne peut pas procéder à la défense de son immense empire sans provoquer, de la part d’un voisin ombrageux, des attaques du genre de celle qui se produit en ce moment. On exagère sans doute beaucoup les moyens de défense et de protection dont la Russie cherche aujourd’hui à s’assurer ; mais que fait-elle, en somme, sinon ce que nous avons fait nous-mêmes, et de quel côté sont venus les premiers