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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/538

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aussi la consternation. Des députés coururent cour du Commerce se faire confirmer la chose, puis refluèrent aux Tuileries.

La Convention s’y réunit à onze heures dans une émotion facile à imaginer. Tout porte à croire qu’elle était au fond plus dantoniste que robespierriste. Tallien, son président, était un « vieux Cordelier. » Des amis de Danton se voyaient partout : Legendre, Fréron, Courtois, Bourdon, Barras, vingt autres. Mais, tout de même, le bataillon dantoniste était décapité : Hérault, Fabre, Philippeaux, Delacroix, Desmoulins, tout l’état-major était en prison. Fréron était prudent, Courtois incapable de parler, Tallien un médiocre. Seul, le rude boucher Legendre osa s’élancer à la tribune.

« Citoyens, s’écria-t-il, quatre membres de cette Assemblée ont été arrêtés cette nuit. Je sais que Danton en est, j’ignore le nom des autres. Je demande que les membres arrêtés soient traduits à la barre pour être accusés ou absous par vous. Je le déclare, je crois Danton aussi pur que moi ! »

Il y eut des murmures, tandis que Legendre continuait à exalter son grand ami, poursuivi, dit-il, « par des haines particulières. » Il répéta sa motion. Fayau la combattit, mais l’Assemblée semblait prête à la voter ; déjà se faisaient entendre, à l’adresse de Robespierre ; des cris de : « A bas la dictature ! » Si Tallien eût mis incontinent aux voix la motion Legendre, « l’affaire, dit Courtois, eût été enlevée d’emblée. » Il tarda trop, laissa le Comité accourir.

Robespierre parut, et tout fut perdu. J’ai dit, en contant l’histoire de la Révolution, quelle sorte de pouvoir d’hypnose ce petit homme, si médiocre à mon sens, exerçait sur les assemblées. Déjà, en ces jours de germinal an II, son pouvoir était fort du désarroi inexplicable où sa seule apparition à la tribune jetait ses adversaires. Lorsque, le 9 thermidor, on le voudra tuer, il faudra qu’avant tout on l’empêche d’atteindre la tribune. De là, il terrifiait, fascinait ses gens.

Il le prit de haut : « A ce trouble depuis longtemps inconnu, dit-il, qui règne dans cette Assemblée, il est aisé de s’apercevoir qu’il s’agit ici d’un grand intérêt. Il s’agit en effet de savoir si quelques hommes aujourd’hui doivent l’emporter sur la patrie, si l’intérêt de quelques hypocrites ambitieux doit l’emporter sur l’intérêt du peuple français ! »

On commença à applaudir. On était venu, reprit-il, demander