Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/549

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dépositions faites plus tard au procès Fouquier-Tinville, ni la brochure de Vilain d’Aubigny, ni même les curieuses notes prises à l’audience par Topino Lebrun ne permettent de reconstituer vraiment cette défense. Prononça-t-il un discours suivi, ou répondit-il à des questions qui se formulaient ? C’est ce qu’il est même difficile de voir.

A lire les notes de Topino Lebrun, on croit voir un homme, parant un peu au hasard non seulement les coups qu’on lui porte, mais ceux qu’on s’apprête dans l’ombre à lui porter. L’acte d’accusation était vague, et il n’y avait dans cette étrange affaire Danton aucun « dossier Danton. » On incriminait toute sa vie publique, mais on n’articulait aucun fait précis. Il était donc forcé de repousser comme à tâtons les griefs qu’on n’osait ou ne pouvait formuler.

Le fait est qu’essayant de l’entendre à travers Topino Lebrun, je vois un homme errant les mains tendues, d’une façon parfois titubante, dans toute sa vie passée. Cette vie que nous venons de conter, nous la voyons repasser sous nos yeux dans cette audience du 14, comme dans un nuage trouble traversé d’éclairs éblouissans et de formidables coups de tonnerre. Dans cette vie d’où soudain tout remonte, il y a trop de choses confuses, glorieuses et affreuses, trop de boue, d’or, de sang remués, trop d’épreuves et de violences. On dirait que, si résolu qu’il soit à se justifier, l’homme n’en peut plus, tombe, se relève, s’excuse, s’exalte, se confesse et se vante tour à tour du même fait, supplie, menace, appelle du passé ses gloires et ses chagrins. Mais, gêné dans cette défense, incertain peut-être du terrain, qu’il sait semé de pièges, où on l’a entraîné, il trébuche parfois pour reprendre, un instant après, tout son équilibre. Peut-être d’ailleurs me trompé-je. Peut-être cette impression de cauchemar que me donne cette défense haletante résulte-t-elle de ces notes incomplètes, brèves, hachées, désordonnées, prises par le témoin. Ou bien, pressentant qu’on l’allait couper dans sa défense, peut-être devait-il se hâter de tout dire pêle-mêle et de précipiter les phrases.

Il parlait, dit-on, d’une voix si formidable, que les éclats s’en entendaient bien au delà des portes : son « tonnerre » semblait les faire sauter.

« Danton, lui avait dit le président, la Convention vous accuse d’avoir favorisé Dumouriez, de ne l’avoir point fait