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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/558

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décret qui l’armait. Puis il déclara à Danton et à Delacroix « qu’il avait une foule de témoins à produire contre eux et qui tous tendaient à les confondre, mais qu’en se conformant aux ordres de l’Assemblée, il s’abstiendrait de faire entendre tous ces témoins, et qu’eux, accusés, ne devaient point compter faire entendre les leurs ; qu’ils ne seraient jugés que sur des preuves écrites et n’avaient à se défendre que contre ce genre de preuves. »

Si l’on en croyait le Bulletin, les deux prévenus auraient alors « renouvelé leurs indécences en réclamant l’audition des témoins. » En fait, je crois volontiers que Danton ne dut point accepter sans protestations violentes cette invitation à se laisser bénévolement étrangler.

Fouquier « dépêcha » les derniers accusés, les frères Frey qu’on avait oublié de questionner. Les misérables expédiés, Danton entendait bien que, suivant la promesse faite le 14, il pourrait achever de se défendre. Mais Herman, lui, ne l’entendait point. Il fallait se presser. Il invita le jury à se déclarer « suffisamment éclairé. »

Les jurés se retirèrent quelques minutes et rentrèrent avec la déclaration sollicitée.

« Les jurés étant satisfaits, les débats sont clos ! » dit le président.

« — Clos ! s’écria Danton, comment cela ? Ils n’ont pas encore commencé ! Vous n’avez pas lu de pièces ! Point de témoins ! »

Il avait raison : à ce singulier procès on n’avait rien produit que l’acte d’accusation fabriqué par Saint-Just ; on avait interrogé les témoins désordonnément, les interrompant avant qu’ils eussent fini ; on n’avait produit aucun document, ouvert aucun dossier ; les témoins à décharge n’ayant pas été mandés, ceux de l’accusation même, sauf le fâcheux Cambon, avaient été congédiés. Chose plus curieuse encore, il n’y avait même pas eu de réquisitoire, et l’on ne parut point songer un instant qu’on n’avait point plaidé.

« Nous allons être jugés sans être entendus ! » criaient les prévenus. Desmoulins avait préparé un mémoire réfutant les mensonges de Saint-Just, il ne le pouvait lire ; il le froissa, le jeta par terre. On prétendit qu’il l’avait jeté en boulette à la tête des juges. En réalité, nous imaginons volontiers que ces hommes n’étaient point calmes.