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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/631

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sa volonté tenace qui subjuguait un époux épris, enfin la naissance de sa fille Sophie-Dorothée, la menèrent où elle avait décidé d’arriver.

Successivement, « le petit tas de boue, » comme l’appelait la princesse Palatine, devint comtesse de Willemsbourg, épouse légitime et duchesse de Zell. Mais tout cela n’alla pas sans amertume et sans rancœurs.

Sa première victoire fut la légitimation de sa fille bien-aimée, Sophie-Dorothée, née au château de Zell, le 15 septembre 1666. Cet événement fut mal accueilli à Osnabruck, et, après les fêtes princières qui l’accompagnèrent, les rapports déjà tendus des deux cours devinrent ouvertement hostiles.

Cet état de choses, et le sentiment de ce que sa situation avait d’équivoque, pesèrent sur la sensibilité précoce de la fille d’Eléonore : elle ne s’attacha pas à une patrie qui l’adoptait de si mauvaise grâce. Son affection se tournait vers celle dont sa mère lui révélait, dans sa langue originelle, l’esprit et le parfum. C’était une petite Française qui grandissait sur la terre d’Allemagne, et cette petite Française pouvait d’autant mieux revendiquer sa patrie de choix, que Louis XIV, sur les instances de ses parens qui craignaient pour elle l’hostilité de sa famille, lui avait octroyé, en 1671, des lettres de naturalisation lui permettant de se retirer en France en cas de danger.

Au contraire de la cour d’Osnabruck, brillante, bruyante et dissolue, celle de Zell était vertueuse, paisible et patriarcale. Georges-Guillaume, grand veneur et grand buveur, n’aimait guère le faste. Eléonore était toute à l’éducation de sa fille dont l’intelligence et la beauté dédommageaient la mère des blessures d’amour-propre faites à l’épouse. Déjà l’enfant se révélait fougueuse. A douze ans, sa tante de Reuss trouvait dans le secrétaire de Sophie la déclaration d’un audacieux petit page.

Tantes et cousines se réjouissent à l’envi de ce puéril incident qui présage de cruelles mésaventures à Eléonore : « Cette petite canaille de Sophie-Dorothée nous vengera tous, » écrivait la Palatine, friande de tous les incidens que l’écho lui apportait de sa chère Allemagne.

Mais la « petite canaille » était belle, riche, bien vue de l’Empereur et, quand vint l’heure de lui choisir un époux, ce furent des prétendans de marque qui se mirent sur les rangs : Henri-Casimir de Nassau, le prince Georges de Danemark.