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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/657

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trouvé laid ; s’il vous avoit veu par les miens, il vous auroit trouvé charmant, le plus agréable des hommes ; je ne crois pas que personne puisse vous le disputer, et quelque merveille que vous me disiez du duc de Richmont, je suis persuadée qu’il ne fait que blanchir auprès de vous et vous n’auriez aucun sujet de le redouter s’il devenoit vostre rival ; il ne feroit que servir à vostre triomphe, et ni lui, ni qui que ce soit au monde ne sauroit me plaire après vous. J’aurois encore une infinité de belles choses à vous dire, mais je crains d’offenser vostre modestie, et comme je la connois, je veux m’en tenir là...

« Je ne pense nuit et jour qu’à vous plaire, c’est toute mon estude, j’y borne tous mes souhaits et mon ambition... Je vous réponds de mon cœur, il est si fort à vous que rien dans le monde ne pourra vous l’oster ; il est à l’épreuve de tout ce qui peut arriver, et vous me retrouverez plus tendre et plus fidèle que jamais ; faites de même, je vous en conjure, tout mon bonheur en dépend, mais j’aurois tort d’en douter, et vous avez la bonté de me dire tout ce qui peut me rendre tranquille. Mais quand on aime aussi fortement que je le fais, on craint tout, et vous estes trop aimable pour ne pas appréhender de vous perdre. »


Konigsmarck, la veille de la bataille de Steinkerque, avait placé le portrait et les lettres de la princesse dans un paquet cacheté confié à un officier de son régiment avec ordre de le brûler s’il était tué. « Précaution inutile ! » s’écrie Sophie-Dorothée, et la pensée d’un tel malheur lui inspire des paroles véritablement prophétiques de son destin :


« Je dois vous rendre grâce des soins que vous avez pris de mes lettres et de mon portrait, mais ils auroient esté bien inutiles, car ma douleur auroit tout découvert, si vous aviez péri, et je n’aurois pas eu la force de me contraindre. Il m’auroit esté bien indifférent d’estre perdue ou de ne l’estre pas, car, sans vous, la vie me seroit insupportable, et quatre murailles m’auroient fait plus de plaisir que de demeurer dans le monde.

« Grâces à Dieu, je suis délivrée de ces tristes pensées, je fais bien des vœux pour ne me trouver plus en pareil estat. Tout le monde m’a fait compliment ce soir sur ma gaieté. Les sots croient que le Réformeur y a sa part, quoique, à dire la vérité