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n’est qu’un fait-divers plus gros et plus impressionnant que la plupart des autres, à cause des personnes qui y sont mêlées, mais qui n’aurait pas plus d’importance s’il n’avait pas posé la question angoissante contre laquelle nous nous débattons.

Au moment où l’infortuné M. Calmette a été assassiné, le bruit courait qu’il était sur le point de publier dans le Figaro un document dont tout le monde parlait, mais dont peu de personnes connaissaient le contenu, quoiqu’on ait dit depuis qu’il était « le secret de polichinelle. » Il l’était sans doute dans un certain milieu où les bruits se colportent plus vite et ont plus de sonorité qu’ailleurs ; mais le public en soupçonnait l’existence et n’en savait rien davantage. Cela suffisait toutefois pour créer une atmosphère d’incertitude et d’inquiétude où on se sentait mal à l’aise et d’où on commençait à vouloir sortir à tout prix. Une interpellation avait déjà eu lieu à la Chambre, on en annonçait une nouvelle et on s’attendait, sans pouvoir dire au juste sur quoi on s’appuyait pour cela, à ce que le document fît éclat un jour très prochain, soit dans la presse, soit à la tribune.

L’interpellation a pris tout de suite un caractère si pressant qu’il est devenu impossible de résister aux obligations qu’elle a imposées. Elle a été faite par M. Delahaye, qui était intervenu à peu près de la même manière au moment du Panama, et dont cette nouvelle affaire semblait rajeunir la verve acerbe, agressive, impitoyable. À ses allégations, à ses interrogations précises, qu’a répondu le gouvernement ? Son attitude a été déjà un peu oubliée, car, nous l’avons dit, tout s’oublie vite : elle a été pourtant bien digne d’être retenue. — De quel document parlez-vous ? ont demandé les ministres. Nous l’avons cherché inutilement à la Chancellerie sans en trouver la moindre trace ; si quelqu’un l’a, qu’il le montre ; quant à nous, nous l’ignorons. — À prendre les choses au pied de la lettre, M. le président du Conseil était fondé à tenir ce langage ; il ne pouvait pas, en effet, produire un document qu’il n’avait pas ; mais, pour ce qui est de son existence, il ne l’ignorait nullement. Au reste, le document n’était intéressant que par ce qu’il contenait : M. Delahaye assurait qu’il faisait foi d’une pression que M. Monis, alors président du Conseil, aurait exercée sur le procureur général, M. Fabre, pour obtenir la remise de l’affaire Rochette. Quoi de plus facile que de s’éclairer sur ce point ? M. Monis faisait partie du gouvernement, il était assis entre ses collègues au banc des ministres, il n’y avait qu’à l’interroger. C’est ce qu’on a fait : on lui a demandé s’il avait exercé la pression dont on l’accusait. La réponse a été lente à venir ;