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plusieurs réponses, aucune n’a paru satisfaisante. On a d’abord mis en cause Me Maurice Bernard, l’avocat de Rochette. C’est lui, disait-on, qui a exprimé le désir d’obtenir une remise, et il l’a fait d’une manière menaçante ; ses exigences s’appuyaient sur une sorte de chantage au scandale ; il fallait fermer la bouche de cet avocat, que tout ce qu’il savait rendait dangereux. Singulier avocat, pensions-nous, et pourquoi tremblait-on si fort devant lui ? L’honneur de la République elle-même était-il vraiment intéressé à son silence ? Me Bernard a été appelé à s’expliquer et, dès ses premières paroles, son caractère est apparu tout à fait différent de ce qu’on en avait dit.

Me Bernard est un avocat et ne veut pas être autre chose. Il a toute la fierté de sa profession qui est faite d’indépendance et du respect méticuleux de certaines règles. Sa parole est tantôt abondante, tantôt pleine de réserve et, au moment où on croit qu’il va tout dire, il s’arrête court et dresse devant lui le secret professionnel comme une muraille de Chine. Un pareil témoignage est toujours condamné à être incomplet ; mais que faire, puisque l’avocat déclare que lui seul est juge du secret professionnel, sachant où il commence et où il finit, et qu’il ne reconnaît à personne le droit de l’en délier ? Il faut donc se contenter de ce que Me Bernard a bien voulu dire, mais il a dit de la façon la plus nette que ce n’est pas lui qui a pris l’initiative d’exprimer un désir au sujet de la remise de l’affaire Rochette. Pourtant, M. Caillaux avait affirmé le contraire. Me Bernard ne songeait nullement à la remise ; l’attitude du procureur général ne lui donnait aucune espérance de l’obtenir ; il portait ailleurs ses pensées, lorsqu’on est venu lui glisser à l’oreille que, s’il demandait la remise, il l’obtiendrait. C’était, qu’on nous passe le mot, pour lui ou plutôt pour son client, une de ces aubaines inespérées qu’on ne refuse pas. Il faut croire que le renseignement lui avait été fourni par une personne autorisée, puisqu’il a cru pouvoir en profiter : il a donc sollicité la remise, elle lui a été refusée. Il en a éprouvé un assez vif dépit, non pas à cause de la remise à laquelle il semblait ne porter qu’un assez médiocre intérêt, mais parce qu’on lui avait fait faire « un pas de clerc » et qu’il en était mortifié. Bientôt toutefois, on est revenu à la charge ; on lui a expliqué qu’il était parti trop vite, qu’il avait fait une démarche un peu prématurée, mais que, s’il la recommençait, il trouverait la voie libre et le succès au bout. Sa première mésaventure n’était pas un encouragement pour Me Bernard ; il refusait de s’exposer à une récidive ; mais alors, un personnage mystérieux, qui était à même de savoir et qui avait autorité pour parler, a donné à l’avocat l’assurance