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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/787

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qu’elle put exiger, Edouard André ne négligeait aucune occasion de conquête nouvelle et glorieuse. En 1874, c’est l’un des plus beaux exemplaires du buste du Cardinal de Richelieu (1641-1643), par Jean Warin, en 1872 la plaquette admirable du Saint Sébastien par Donatello, et, en même temps, le bronze si vivant et si fier du cheval Bucéphale, attribué à Léonard de Vinci, le Portrait de la Comtesse Skawronska, par Mme Vigée-Lebrun, le Début du modèle, par Fragonard, etc.


III

Edouard André, à l’âge de quarante-huit ans, épousa Mlle Nélie Jacquemart qui en avait quarante, au mois de juin 1881. Il y avait déjà longtemps que j’avais rencontré, vu et entendu dans une circonstance singulière, mais sans l’aborder ni lui parler, l’artiste débutante encore peu connue. C’était à Florence, au printemps, en 1867. Nous avions passé, Sully Prudhomme et moi, l’hiver à Rome. En quittant Sienne, sur la route de Pise, j’avais laissé mon cher compagnon regagner la France par Gênes, tandis que je revenais passer quelque temps à Florence où j’avais alors de nombreuses relations. Un matin, un dimanche, un poète rhénan de mes amis me vint trouver au saut du lit. Il avait dîné, la veille, au palais Peruzzi, avec une jeune artiste française, Mlle Nélie Jacquemart, très recommandée par de hautes personnalités parisiennes et qui devait repartir en hâte pour Rome. Dans la conversation, Mlle Jacquemart avait exprimé le regret de n’avoir aucune lettre pour un des jeunes artistes de l’Académie de France. L’excellente comtesse Emilia, avec la spontanéité de chaleureuse obligeance qui lui était habituelle, s’était aussitôt engagée à lui en procurer une. Elle me faisait donc prier de rendre ce service à une charmante compatriote. Je venais de quitter à la Villa Médicis de bons camarades, en qui nous avions, Sully et moi, trouvé de précieux compagnons pour nos visites de monumens et nos excursions dans l’Agro Romano. Je m’empressai de recommander M’e Jacquemart à l’un d’eux, le peintre Machart, élégant cavalier, causeur aimable, très répandu dans la société romaine, connaissant à fond le pays et ses curiosités, aussi bon portraitiste que décorateur. Le soir du même jour, comme je dînais seul, à une petite table, dans une modeste trattoria de la