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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/794

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Le 8 mai 1890, lors de la vente Seillière, où parut le bas-relief du Jeune Héros, le plus beau morceau peut-être du Musée, par Desiderio da Settignano, le pauvre Courajod applaudissait encore : « Le Parlement a refusé hier notre demande pour aller à la vente Piot... Bravo, bravo mille fois, pour l’acquisition du bas-relief à la vente Seillière... » Mais, à bon entendeur, salut. A la vente Piot, quelques jours après, le Musée du boulevard Haussmann s’enrichissait d’une délicieuse Vierge et l’enfant par Luca della Robbia, qui alla y rejoindre six ou sept œuvres d’Andréa ou de leurs ateliers et quantité de beaux marbres, stucs, bronzes du XVe siècle, recueillis les années précédentes soit à Florence, soit en Vénétie et Lombardie. Il est clair qu’à ce moment, les deux voyageurs transalpins sont hantés par l’idée de créer à Paris un Musée complémentaire du Bargello, d’y reconstituer une salle de sculptures entières ou fragmentaires, décoratives, narratives, iconographiques, comme on en trouvait aux XIVe, XVe, XVIe siècles, chez les antiquaires, princes ou riches bourgeois de Toscane et de la Haute-Italie.

Le dernier, le plus glorieux triomphe des deux époux dans l’une de leurs expéditions d’outre-monts, une année avant la mort d’Edouard André, fut la conquête inattendue de la grande fresque de J. B. Tiepolo, La réception d’Henri III roi de France par Federigo Contarini dans sa villa de Mira, près de Padoue. On sait comment les deux voyageurs visitant les palais et villas rangés sur les bords de la Brenta, par curiosité, sans espoir d’achats, le 10 mars 1893, furent surpris de se trouver en face d’une œuvre, non seulement admirable en elle-même, mais si intéressante pour la France. Sans perdre de temps, ils se mirent en rapport avec le propriétaire, plus accommodant qu’ils n’espéraient, et, sur-le-champ, conclurent le marché. Malheureusement, l’enlevage de cette peinture murale, son emballage, son transport en France, sans parler des négociations internationales, demandèrent trop de temps pour que le pauvre André pût la voir en place. C’est l’œuvre la plus considérable qui représente en France, et même on peut dire dans les deux mondes, en dehors de la Haute-Italie et de l’Allemagne à Wurzbourg, le génie décoratif du dernier des grands maîtres vénitiens.