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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/801

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intensif et un isolement austère, qui lui donnèrent, avec la connaissance du droit constitutionnel, de l’histoire contemporaine et des langues vivantes, l’horreur des livres. George V n’apprit jamais qu’un métier, celui de marin. Il a quinze ans de services à la mer, a conquis ses diplômes à l’école et risqué sa vie par gros temps. Si le fils de la reine Victoria et du prince Albert, victime de son éducation première, n’hérita point de leur passion pour les « livres bleus » et de leur culte pour les mémorandums, ces besoins d’ordre et de méthode revivent chez leur petit-neveu. Il dépouille, avec autant de conscience que ses grands-parens, le stock quotidien des dépêches diplomatiques, dont la dactylographie a décuplé le volume. Il recueille et annote les documens parlementaires. Edouard VII, servi par la facilité de son intelligence, par sa connaissance des hommes et le charme de sa personne, n’écrivait qu’avec peine et négociait avec joie. La conversation était pour lui la plus sûre des armes et la meilleure des méthodes. George V, méditatif et timide, recule devant un dialogue et se dérobe à un entretien. Il s’isole et s’enferme, il réfléchit et rédige. L’un fut un causeur charmant, l’autre est un orateur écouté. Le père sut trouver, d’instinct, le mot qui déride, séduit ou riposte. Le fils sait prononcer, avec autorité, des discours rarement banals, toujours substantiels et élevés, qui éveillent et retiennent l’attention. Telle de ces allocutions prononcées sous les voûtes du Guildhall, sur les marches d’Ottawa ou sous le dais d’un Durbar, ont eu un retentissement, qu’ignore, le plus souvent, l’éloquence sonore et vide des chefs d’Etats.

Edouard VII fut un politique d’instinct, qui, arrivé tard au trône, y apporta des dons précieux et une expérience plus précieuse encore. George V ne quitta que par hasard et à regret la passerelle de son croiseur pour les lambris des palais. Marin de carrière, il devint avec angoisse un roi d’occasion. Si dix ans d’efforts lui permirent d’effacer ce qu’il y avait dans sa sincérité et sa spontanéité, dans sa raideur et sa timidité, dans son éducation et sa connaissance, d’incompatible avec la neutralité sereine, l’action discrète et l’habileté diplomatique du souverain constitutionnel, il le doit autant aux conseils quotidiens d’un grand Roi qu’aux encouragemens répétés d’une princesse éminente. Aujourd’hui, comme en 1850, l’Angleterre possède, en fait, sinon en droit, deux souverains. Le pouvoir est