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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/847

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venu se remettre d’une crise maladive en déplorant que le mauvais état de sa santé ne lui permît pas de porter ses hommages au Vatican où il aurait voulu s’entretenir avec le grand Pape qu’il admirait ; toutefois, il ne désespérait pas encore de la possibilité d’entreprendre ce voyage. Espérance vaine, car le 11 du même mois, à sept heures du soir, il succombait presque subitement, sans agonie, entre les bras de son secrétaire, l’abbé Chapon, et en baisant le crucifix.

Par un codicille de son testament, rédigé à Versailles le 23 juin 1871, il avait défendu que l’on prononçât son oraison funèbre : « On ne peut pas, dans ces sortes de discours, disait-il, rendre vraiment hommage à la vérité. On y vient louer un pauvre homme qu’on n’a pas connu à fond. J’ai horreur de penser qu’on viendrait là pour me louer et blesser la vérité que Dieu sait. Je défends absolument qu’après moi, on fasse sur moi aucune oraison funèbre. »

Il eût été inconvenant de ne pas obéir à la volonté qui s’exprimait ainsi. Lorsque, quelques jours plus tard, les funérailles de l’évêque eurent lieu dans sa cathédrale d’Orléans où son corps avait été ramené, la douleur de ses diocésains ne se traduisit que par de brèves paroles qu’un membre de son clergé laissa tomber sur le cercueil en guise d’adieu. Elles précédèrent la lecture d’un des plus admirables testamens spirituels qui aient jamais été écrits. Le grand évêque, qui devra à M. Emile Faguet d’être mieux connu de la postérité, apparaît dans ces pages testamentaires tel qu’il avait été durant sa vie, pauvre, humble, soumis, énergiquement fidèle à ses sermens, se vouant tout entier, corps et âme, dans la chaire, à la tribune, dans la presse, avec la vaillance d’un bon soldat, à la défense de ses convictions et n’hésitant pas, lorsque ses vœux d’obéissance lui commandaient le sacrifice de quelques-unes d’entre elles, à les sacrifier à l’autorité souveraine qui pour lui représentait sur la terre l’autorité de Dieu.


ERNEST DAUDET.