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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/851

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« Je n’ai vu personne hier que ce que je vous ai nommé ; je n’ai rien vu d’aujourd’hui, et je ne sortirai point, trop heureuse d’estre seule pour pouvoir m’abandonner à toute ma douleur. Elle est encore plus violente aujourd’hui qu’elle ne l’estoit hier. Tant que j’ai pu vous voir, je ne l’ai point sentie dans toute sa force, mais présentement que je n’ai plus d’espérance et que je n’envisage qu’une absence affreuse, mon cœur est déchiré, et il n’y a point dans le monde de consolation à espérer pour moi. Bon Dieu, qui pourroit me consoler d’estre éloignée d’un amant comme vous, que je suis sensible aux marques de vostre tendresse ; elles sont gravées dans mon cœur, le souvenir m’en charme et je m’en occupe continuellement ; mais plus je suis contente de vous, et plus il est cruel pour moi d’en estre séparée. Que je la sens, cette cruelle absence ! J’en suis accablée. J’ai fort peu dormi, j’ai mille inquiétudes ; je ne saurois penser sans trembler au tems que je vas passer sans vous. Ayez pitié de moi et hastez vostre retour autant qu’il vous sera possible. Songez que toute ma félicité consiste en vous seul, que vous estes l’unique charme de mon cœur et tout le plaisir de ma vie, qu’il est véritablement à vous, ce cœur, et que vous en devez estre satisfait ; il est plein de la plus tendre et de la plus ardente passion que l’on ait jamais sentie et qui ne finira qu’avec mes jours. Je ne suis occupée que du plaisir que je me fais de vous faire connoistre, par toutes mes actions, le véritable attachement que j’ai pour vous. Je prétends ne pas faire la moindre démarche où vous ne trouverez une nouvelle marque de ma tendresse. Enfin je ferai encore plus que je ne vous ai promis, et j’espère que vous conviendrez que je ne suis point indigne de la vostre ; mais quoi que je puisse faire, je trouverai toujours que ce n’est point assez, et le sacrifice de tout le monde ensemble me paroît encore peu de chose pour vous.

« J’ai voulu vous escrire hier au soir, je ne l’ai pu, je n’avois ni papier, ni encre ; j’en ai esté bien mortifiée. J’aurois esté soulagée, si j’avois pu vous dire l’excès de ma douleur et de ma passion. L’une et l’autre est extrême.

« Adieu, mon adorable enfant, il faut finir, ce n’est point la faute de mon cœur ; il est si plein de vous que je ne finirois jamais ; c’est celle de mes yeux qui me font beaucoup de mal.

« Je n’ai pas moins de curiosité pour vous que vous n’en avez