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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/858

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et n’oublions rien pour estre ensemble tout le plus que nous pourrons ; je suis résolue à tout faire pour cela, car je ne m’accoustume point à vostre absence et je la trouve plus cruelle que jamais. C’est vous dire que je vous aime avec plus d’ardeur que je n’ai jamais fait. Il est vrai que ma tendresse ne sauroit plus augmenter, à moins que je n’en perde l’esprit. Je voudrois estre à tous momens avec vous et ne m’en séparer jamais. Plus je vous vois, et plus je vous trouve aimable. Je ne saurois ni regarder ni parler à personne, et je me trouve heureuse d’estre renfermée, puisque je ne peux vous voir. Voilà l(estat où vous m’avez mise ; il falloit tous vos charmes pour m’y mettre, mais vous m’avez si bien réduiste que je compte tout le monde ensemble pour rien, et que vous seul me tenez lieu de toutes choses [1].

« Soyez-en bien persuadé, et que toutes les actions de ma vie vous marquent ma passion. »

La guerre contre les Danois est déclarée et Konigsmarck va partir. Sophie-Dorothée, défiant tous les dangers, arrive, à force d’ingéniosité, et toujours avec la complicité de Knesebeck, à dresser un plan qui permettra à son amant de la voir avant qu’il ne rejoigne l’armée.


« Vendredi (16/26 juin).

« Après avoir langui trois jours et après avoir eu mille inquiétudes, j’ai eu le plaisir de recevoir aujourd’hui deux de vos lettres. Je commencerai par ce qui me tient le plus au cœur, qui est l’envie où je suis de vous voir. Je vous ai déjà mandé que la chose est facile de mon costé, car Knesebeck loge dans le cabinet auprès de moi. Vous pouvez y entrer par une porte de derrière et vous pouvez y demeurer vingt-quatre heures si vous le voulez, sans le moindre risque. Pour moi, je me promène tous les soirs seule, avec Knesebeck, sous les arbres qui sont tout auprès la maison. On vous y attendra depuis dix heures jusqu’à minuit. Vous savez le signal ordinaire. Il faut vous faire connoistre par là. La porte de la palissade est toujours ouverte. N’oubliez pas que c’est vous qui devez donner le signal et que je vous attendrai sous les arbres.

  1. Réminiscence de ce vers de La Fontaine dans la fable des Deux Pigeons :
    Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.