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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/904

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gens sans aveu, sans domicile, ce fléau de Paris et de Londres. Après dîner, le Roi eut la bonté de s’approcher de moi, pour me parler assez longuement des affaires du jour et de l’amélioration sensible qui se faisait dans l’opinion en général et, surtout, parmi les jeunes gens.

— Je regarde toujours les yeux, me dit Sa Majesté, et je vois maintenant, lorsque je circule en voiture dans les rues de Paris, ou que je passe des régimens en revue, que l’expression est tout autre dans les yeux des jeunes gens qu’il y a deux ans ; je ne vois plus de ces figures sinistres, épouvantables que nous rencontrions en d’autres temps. Vous rappelez-vous, comte Rodolphe, lorsque j’étais au Palais-Royal ?...

— Oui, Sire, je me souviens de ce fameux concert où nous passâmes au travers d’une épouvantable émeute pendant qu’on chargeait la populace.

— Je n’oublierai jamais ce jour-là, continua le Roi, mais ce que je n’oublierai pas non plus, c’est votre courage d’être venu malgré tout ce tapage. J’étais charmé de vous y voir, mais, en même temps, je puis le dire aujourd’hui, j’étais honteux de vous rendre témoin d’un semblable spectacle. Je descendis, espérant que ma présence calmerait cette irritation sans cause. En quoi se justifiait-elle ? On alléguait les Polonais ! Mais, en quoi les Polonais intéressaient-ils les Parisiens ? La plupart de ces gens-là ne se doutaient même pas de l’existence de la Pologne. J’étais donc descendu dans les galeries ; lorsqu’on me vit, on me cria : « Vive la Pologne ! A bas Louis-Philippe ! » on me menaça avec des poignards à travers la grille, on fit plus, on en lança sur moi qui tombèrent à mes pieds. Lorsque je pense à ces temps-là et que je les compare à ceux d’aujourd’hui, j’ai bien lieu de me féliciter. Il n’y a que la Presse qui soit encore agressive ; mais elle s’usera, je le souhaite, car contre elle nous sommes à peu près désarmés. Cependant, nous sommes parvenus à gagner le jury, et les journalistes sont journellement condamnés à des peines très rigoureuses, à de très fortes amendes. Il me reste encore bien à faire, mais, croyez-moi, j’y parviendrai, grâce à mon principe de ne jamais attaquer qu’à la dernière extrémité, de me tenir toujours sur la défensive et, si j’attaque, d’être assuré de la victoire. Je l’ai dit souvent à Charles X, dans ces appartemens-ci : « Défendez-vous, mais n’attaquez pas, et si ordonnances il faut, ayez sous la main, avant