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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/926

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MM. Guizot et Thiers ; M. de Broglie n’a pas le bonheur de lui plaire, elle le trouve trop boutonné.

— Il ne me dit jamais rien, gémit-elle.

M. de Talleyrand va presque tous les soirs chez Mme de Lieven, souvent pour se taire, mais quelquefois pour être causant et aimable. M. de Montrond y va aussi très souvent ; âme damnée de Talleyrand, c’est un homme intrigant mais spirituel, au reste sans morale ni politique, ni autre.

L’année dernière où Louis-Philippe avait quelques soupçons contre M. de Talleyrand, Montrond fut chargé de surveiller le prince, de rendre un compte exact de tout ce qui se disait dans son salon et de ce qu’il disait lui-même dans l’intimité. M. de Montrond, dont M. de Talleyrand s’est bien souvent servi de la même manière contre ses amis ou ennemis, s’acquitta à merveille de sa mission et le Roi fut très exactement informé.

Mme de Dino eut vent de la trahison de M. de Montrond, mais, ne voulant pas lui donner l’occasion de se justifier ou d’expliquer sa conduite, elle n’attendit qu’une occasion favorable pour le chasser du château. Cette occasion ne tarda pas à se présenter. Montrond a un ton et des manières très insolentes ; on les lui passait dans l’hôtel Talleyrand, parce qu’on avait besoin de lui ; on riait même de ses grossièretés, qu’on appelait des brusqueries originales. M. de Montrond s’en étant permis une vis-à-vis de Mme de Dino, devant lady Clanricarde qui se trouvait à Valençay avec plusieurs de ses compatriotes, la duchesse le regarde, l’apostrophe avec son éloquence foudroyante.

Montrond, un tant soit peu déconcerté, tâche cependant de tourner les phrases en plaisanterie. Mais la duchesse se lève et, en le grondant comme un écolier, elle lui ordonne de quitter le château à l’instant même ; puis elle tire un cordon et ordonne au domestique qui entre de faire venir des chevaux de poste pour M. de Montrond qui désirait retourner à Paris.

Malgré ses prières et ses instances, il dut quitter Valençay. Il parvint cependant à se raccommoder avec Mme de Dino. De nouveau, on le voit dans ce salon, suivant M. de Talleyrand partout comme son ombre.


Cte RODOLPHE APPONYI.