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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 20.djvu/938

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Deux petites filles, la petite Malherbe et la petite Carlia, jouent les deux rôles de Gégé et de son amie Janine comme jouent les enfans, en comédiennes accomplies.


Quelle erreur était la nôtre de tenir M. Tristan Bernard pour un maître du rire ! Il devient un des rois de l’épouvantement. Après un drame judiciaire, un drame militaire : c’est le récidiviste du mélo. Les trois actes très sommaires de La force de mentir ne semblent avoir été faits que pour la situation finale. Le général Bargeard découvre qu’un de ses lieutenans, le meilleur et le plus aimé de ses officiers, est l’amant de sa femme. Le lieutenant, repentant et confus, et avide de châtiment, propose au général le stratagème suivant. En passant une revue, il examinera les armes des officiers ; le revolver du lieutenant sera resté chargé ; ainsi le général pourra le tuer à bout portant : cette juste exécution sera mise sur le compte d’un accident. Le général accepte : seulement c’est sur lui-même qu’il tire. Ses dernières paroles sont pour faire promettre au jeune homme qu’il épousera l’inconsolable veuve... Tout bien réfléchi, j’aime mieux Triplepatte.

La Tontine est une farce d’une irrésistible drôlerie. Vous savez ce que c’est qu’une tontine : une somme d’argent versée par plusieurs personnes et qui doit appartenir en totalité au survivant. Jérôme et Zéphyrin, deux vieux marins, sont les derniers titulaires d’une tontine de cent mille francs. A qui restera-t-elle ? A Jérôme ou à Zéphyrin ? Chacun des deux vieillards est choyé, soigné, dorloté par les futurs héritiers, et pareillement il est surveillé, guetté par l’autre famille acharnée à sa perte. Les scènes où les deux marins se retrouvent, et rappellent leurs souvenirs, et font naviguer une corvette en miniature sur l’aquarium aux poissons rouges, et commandent la manœuvre en donnant de la toile et de la voix, comme autrefois, sont de la meilleure bouffonnerie.

M. Gémier, qui dans les deux pièces joue le principal rôle, est pareillement excellent de mélancolie hautaine en général Bargeard, et de joyeuse loufoquerie en Jérôme.

Le mois a été très chargé : tous les théâtres voulaient arriver avant la semaine de Pâques. Je remets au mois prochain à parler de Le destin est maître et de Monsieur Brotonneau.


RENE DOUMIC.