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n’ont pas eu d’autre portée que celle de manifestations propres à tromper le pays sur un si complet avortement. Les radicaux-socialistes auront beau dire aux électeurs qu’ils ont rempli leurs engagemens puisque, la veille même de la séparation définitive, ils ont voté une fois de plus l’impôt sur le revenu : en réalité, ils savaient fort bien qu’en votant cet impôt dans les conditions où ils l’ont fait et en l’incorporant au budget, ils avaient rendu le vote du budget lui-même impossible. Ce budget ressemble aujourd’hui à ces édifices en construction, qui disparaissent si bien sous des échafaudages que le passant n’y distingue rien. Quelle que soit la complaisance du Sénat, et elle est grande, on ne pouvait pas attendre de lui le vote d’un projet aussi informe : aussi a-t-on renoncé à le lui demander. Un jour, dans le brouhaha d’une séance agitée par tant d’autres préoccupations, le gouvernement est venu presque subrepticement demander deux nouveaux douzièmes provisoires. La Chambre les a votés à la hâte et s’en est allée. Sait-on par quel vote final elle a fait appel à la reconnaissance du pays ? Parmi les maux qui nous rongent, il en est un que tout le monde dénonce et auquel les meilleurs citoyens cherchent un remède : l’alcoolisme. Rendons la justice au gouvernement qu’il avait proposé d’établir sur l’absinthe une surtaxe dont il attendait une dizaine de millions. Repoussée, la surtaxe sur l’absinthe : elle aurait été impopulaire dans les cafés des chefs-lieux d’arrondissement. Est-ce tout ? Non, la Chambre a fait mieux : elle a supprimé, par 202 voix contre 96, — une belle majorité, comme on voit ! — la licence sur les débits de boissons qui rapporte 36 millions. S’il y a des dons de joyeux avènement, il y a aussi des dons de joyeux départ, avec espoir de retour. C’est ainsi que la Chambre nous a fait ses adieux.

Tout cela n’est sans doute pas passé inaperçu, mais n’a pas été aussi remarqué qu’il l’aurait fallu, au milieu du bruit que faisaient d’autres choses. Ce bruit dominait tout. La Commission d’enquête sur l’affaire Rochette et ses suites continuait ses séances, dont les journaux rendaient compte matin et soir. Nous serons brefs sur des détails que tout le monde a pu lire et a lus : il suffit d’indiquer dans quel esprit la Commission a travaillé. Nommée il y a quelques années déjà dans des conditions que nous avons rappelées, elle était composée, pour les deux tiers, de radicaux-socialistes amis politiques de MM. Monis et Caillaux, et présidée par M. Jaurès. On comprend à quelles tendances elle devait naturellement obéir. Toutefois elle se sentait observée ; l’œil de l’opinion était sur elle ; M. Maurice Barrès, un de ses membres, publiait quotidiennement dans l’Écho de Paris des articles d’un réalisme