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Il était question d’un meeting auquel le duc, ses neveux et lady Louisa Cavendish avaient assisté la veille et dont M. Cavendish était le héros. Ce meeting s’était tenu à Derby pour remercier Cavendish, élu membre du Parlement par le Derbyshire ; de ce qu’il a si bien défendu les intérêts de ses commettans, ils lui ont offert un dîner splendide suivi d’un bal. A dîner, on lui a porté un toast auquel il répondit par un discours interminable, qui a paru le lendemain dans le journal : il y en avait trois ou quatre longues colonnes. Je me suis donné la peine de lire tout ce fastidieux encens jeté à ses commettans, whigs comme lui, et où il s’est déchaîné contre les tories presque aussi violemment que O’Connel.

Le duc de Devonshire, Jady Granville et lady Carlisle ses sœurs, toute sa famille enfin, sont affreusement whigs ; avec cela, ils tiennent pourtant à tous les avantages qu’ils doivent à leur naissance, tels que le rang qu’ils occupent dans le monde, leur fortune, leurs titres, etc., ils sont donc whigs non par principe, mais par vanité, pour se rendre populaires, pour se faire adorer à la manière anglaise, c’est-à-dire pour être applaudis lorsqu’ils se montrent en public, pour être à la tête du parti qui a la majorité dans leur province, pour qu’un membre de leur famille soit élu membre du Parlement, et quelquefois par faiblesse ou par peur. Sans cela, comment expliquer cette manie de tenir à un parti qui n’a d’autre but que de leur prendre ce à quoi ils tiennent le plus au monde : rang, fortune, pouvoir ?

Le duc, n’ayant pas le don de la parole, a tâché de populacer d’une autre façon. Ce fut au bal qu’il déploya toute sa coquetterie pour les Whigs, il fit des frais de jambes inouïs, il fit danser toutes les sommités whigs et choisit dans les derniers rangs de la société ses danseuses, afin qu’on dise : « Voilà un grand seigneur riche et puissant et pourtant pas fier ; je ne suis qu’un simple ouvrier, eh bien ! il a dansé avec ma femme, ma fille, ma nièce, etc. »

Le duc, tout grand qu’il est, tricota de ses jambes le mieux qu’il put, transpira, s’éreinta à faire pitié, mais l’idée de se rendre populaire le soutint toujours et il rentra fort satisfait. Lady Louisa, si belle, si douce, dut aussi subir les conséquences de sa position, il fallut rester au bal jusqu’au jour, danser avec tous les fabricans et avocats de Derby que le duc et son mari lui présentèrent, elle était donc horriblement fatiguée