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son tourment. Chercheur de tares qu’animait le désir de la parfaite pureté, il n’avait nul repos ; il endura une espèce de martyre étrange. Il se soumit à une règle d’ascétisme et, tant que les textes n’auraient pas été purifiés, il refusa les jouissances de l’esprit que leur éloquence ou leur poésie accordent au simple liseur. Dans sa jeunesse, il avait écrit un beau livre, Némésis et la jalousie des dieux, un beau livre de synthèse idéologique et dans lequel la pensée de l’Hellade revit avec la double nature d’un système et d’une croyance, don des philosophes et que l’âme d’un peuple suscita. Mais, quand Tournier fut entré dans les ordres philologiques, il ne fallait plus lui parler de la Némésis, péché de littérature et qu’il réprouvait comme j’ai vu le vieux Tolstoï se repentir de ses romans à l’époque où il ne voulait plus être qu’un apôtre. Les séductions de la philologie sont redoutables.

Le livre de M. Courbaud réagit contre les plus folles entreprises de la critique verbale. Je l’ai dit encombré de philologie : plutôt, encombré d’argumens contre la philologie, toutes les conjectures des Ribbeck, Wieland, Meineke, Lehrs et Müller y étant démenties. Allons-nous considérer qu’avec M. Courbaud la nouvelle Sorbonne se dégage des disciplines où on l’emmaillotait ? Notons, avant d’admettre cette hypothèse, qu’il ne s’agit pas de supprimer la philologie de même que Müller supprime effrontément des vers d’Horace. La philologie a du mauvais et du bon : ses erreurs ne doivent pas faire oublier les services qu’elle a rendus ; et ne repoussons point ceux qu’elle rendra. Mais il est indispensable de lui rabattre son caquet, de temps en temps, et de lui rappeler qu’elle ne peut être qu’une science, — en quelque mesure, — une science auxiliaire de la littérature, une servante de la littérature : sa tyrannie serait, de toutes façons, ridicule. Les forcenés qui sacrifieraient la littérature à la philologie auraient l’absurdité d’un architecte qui abattrait la maison pour ne conserver que les échafaudages.

M. Courbaud, lui, n’abat ni la maison, ni les échafaudages.

Sa manière n’est pas, à proprement parler, philologique. Du moins est-elle érudite, et parfois inutilement. Il a des précautions excessives et qui vont à la pusillanimité. Son désir est de n’avancer rien qu’il ne prouve : et il prouve même ce qui n’aurait pas besoin de preuves ; puis, à une preuve déjà suffisante, il en ajoute d’autres. Il va si lentement qu’à chaque instant le lecteur, au lieu de le suivre, le précède. Si clairvoyant à l’égard des philologues, il n’évite pas leurs prétentions à la science. Or, la science des philologues est conjecturale : que dire de la science de la morale et du goût ? M. Courbaud, dans