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Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 21.djvu/218

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en secouant ce garçon. Tibulle ? Un triste : et Horace n’est que gentil quand il « force la note, » afin que rie ce mélancolique. En outre, la philosophie d’Horace commande la mesure ; il blâme une sagesse morose ou renfrognée ; quand il proteste contre l’excessive gravité de Torquatus et le chagrin de Tibulle, il demeure fidèle à ses principes.

Je ne nie pas l’ingéniosité de ces interprétations ; plutôt, elles me paraissent excessivement ingénieuses. La conversion d’Horace, M. Courbaud ne l’a-t-il pas prise un peu trop au sérieux ? Sans doute, Horace, dans les odes de sa jeunesse, est un folâtre ; puis il note les inconvéniens de la débauche et des passions, plus d’inconvéniens que d’avantages ; il écrit enfin : « Oderunt peccare boni virtutis amore, » c’est-à-dire qu’on doit être vertueux pour le seul amour de la vertu. Le folâtre est devenu un morahste du devoir. Et, la conversion d’Horace, la voilà. D’autant plus qu’Horace, ayant ses quarante ans, écoutait le conseil de l’âge. Je ne nie pas l’ingéniosité de M. Courbaud, ni la conversion d’Horace. Mais je crois que la durable vérité est dans ces vers de l’épître à Mécène (commencement de la conversion), où il dit : « Tantôt, je me sens un homme d’action et je vais me lancer dans les tempêtes politiques ; je suis le gardien de la stricte vertu ; et tantôt, furtivement, je retombe aux préceptes d’Aristippe… » M. Courbaud se le figure moins capricieux, nonchalant et badin. M. Courbaud consacre le premier livre des épîtres à une conversion d’Horace qu’il n’invente pas tout à fait et qu’il invente un peu. Il est dans la réalité, quand il nous montre un quadragénaire que son estomac sert mal, et qui s’apaise, et qui incline vers la raison ; mais il ajoute à la réalité, quand il déduit presque logiquement les divers momens d’une conversion qui ne fut pas celle d’un philosophe.

Au bout du compte, la pensée d’Horace est une bien petite chose. M. Courbaud prête à Horace plus de pensée qu’il n’y en a dans l’œuvre de ce charmant poète. Ce n’est pas le servir. Nous lisons les odes, les satires et les épîtres : le joli arrangement des mots, leur grâce légère et l’amabilité des propos nous peuvent enchanter. Mais qu’on n’appelle pas notre attention sur la pensée d’Horace : car ce n’est rien ; et alors nous nous en apercevons. H a fallu tout le talent du poète exquis pour dissimuler tant de pauvreté, voire tant de vulgarité. L’on dit : Horace et Virgile. Et c’est, à l’égard du divin Virgile, un sacrilège. Dans Virgile, écrivait Hugo, le vers « porte à sa cime une lueur étrange. » Il n’y a pas de lueurs étranges dans les poèmes d’Horace. Il y a, dans les poèmes d’Horace, les petites méditations, tournées à ravir, d’un