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Il en sera de même dans l’intérieur de l’Afrique ; les bonds seront marqués par l’étendue des pays soumis à un même chef. On passera en quelque sorte marché avec un chef qui s’engagera à faire porter par ses sujets les charges jusque chez le chef voisin. La, aucun poste n’existant, on sera obligé de créer des postes extrêmes et des postes intermédiaires.

Et ainsi, de pays en pays, les charges avanceront.

Naturellement, elles n’avancent pas vite, car il faut compter avec mille difficultés. Si le chef est désireux de gagner un beau cadeau, ses sujets, bien que payés de leur côté, ne manifesteront peut-être pas le même enthousiasme que lui. La route sera longue, le pays à traverser sera souvent désert, car deux Etats voisins sont généralement séparés par une zone qui leur sert de tampon et qui a depuis longtemps été ravagée. Il est bien convenu que les porteurs emporteront leur nourriture, mais ils sont pauvres, ils ont pu avoir à souffrir des sauterelles, et pardessus tout ils sont insoucians ; ils prendront, pour parcourir 4 ou 500 kilomètres, cinq ou six épis de maïs et une dizaine de sauterelles grillées ! Si sobres qu’ils soient, ce régime est insuffisant ; ils s’en apercevront et abandonneront leurs charges dans la brousse. Il faudra créer des postes qui auront pour consigne de chasser, de fumer la viande et d’assurer les vivres aux convois. Cette façon de voyager amène la dispersion d’une mission ; presque jamais elle ne sera groupée, non seulement par suite des obligations du portage, mais pour satisfaire à d’autres nécessités. Un officier ira en avant préparer l’arrivée prochaine de l’expédition, d’autres exécuteront des reconnaissances topographiques. Afin de ne pas perdre de temps, on n’attendra pas que la totalité des charges soit parvenue au poste extrême pour entamer le transport dans le pays suivant. Ce ne sera pas sur 500, mais peut-être sur 1 000 kilomètres que les officiers et les sous-officiers seront disséminés.

Cette dispersion force naturellement à vivre pacifiquement avec les habitans ; et, quand une mission semblable est représentée comme couvrant sa route de ruines, l’arrosant de sang, il est facile de juger de la véracité de telles allégations.

Il peut paraître extraordinaire que cet état de paix soit réalisable. De même que pour beaucoup l’Afrique se résume dans le Sahara, on se fait difficilement à l’idée que les noirs ne soient pas des sauvages sanguinaires. Je ne veux pas dire que les noirs