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une idée complète ; enfin on ne compterait pas assez comme succès et je crois que j’en aurai à Berlin. Il n’y a qui m’inquiète que ma conduite envers M. Jackson que je connais, que j’aime comme individu et qui est ministre d’Angleterre. Je t’ai écrit, je crois, que j’avais consulté sur cela à Paris, j’attends la réponse avant mon départ. À propos des Anglais, il faut pourtant que je te dise que, le printemps une fois arrivé, il me semble tout à fait impossible qu’ils se croient liés à rester chez eux. Ce n’est pas un poste que les trois royaumes, et du moins pendant l’été il est permis de le quitter.

Je pense à faire passer mon fils par Genève en l’envoyant à Paris. Que dis-tu de cette idée ? Comme il passera encore un an à Paris, je serais fâchée qu’il fût tout ce temps sans t’avoir revu. Quant à moi, s’il n’y a pas de paix, je n’espère pas Paris pour moi l’hiver prochain, et dans ce cas je m’arrangerai pour revenir en Suisse ; au mois de septembre, il y aura juste un an que j’en serai partie ; c’est bien long.

Hier, chez miss Émilie Gore, une Anglaise honorable de ce pays, j’ai trouvé ton livre sur les Opinions religieuses ; je l’ai ouvert et j’en ai lu quelques pages qui ont fait fondre en larmes tout ce monde. Tu me ferais plaisir si tu envoyais ici un exemplaire du Divorce[1]à la duchesse régnante et trois autres à mon adresse, que je placerai bien ; mais tu mettras sur celui de la duchesse régnante : « de la part de M. Necker. » Elle y sera sensible et personne n’en est plus digne.

Le même jour, au soir, je lisais avec Benjamin dans un poème de Voss, Louise (tu ne connais ni Voss ni Louise, mais tu m’en croiras si je te dis qu’il y a des trésors cachés dans tout cela), je lisais donc la prière religieuse d’un père en mariant sa fille, et il y a eu des paroles qui m’ont fait une telle impression que je ne puis te l’écrire sans me retrouver émue. — Il y a trop d’attendrissement dans mes relations avec toi ; il y en a trop dans le temps qui s’avance pour nous tous, et s’il faut vivre, il faut se roidir le cœur. Pour commencer donc, je te dirai que Mme d’Or… est une sotte de trouver Valérie un bon roman ; l’auteur de Werther qu’elle copie n’en peut supporter une ligne, et il fait un extrait de Delphine que je traduirai cette fois pour toi parce que cela en vaudra la peine.

Dans le bulletin à la main dont je t’ai parlé, il y a que l’intérieur des Tuileries est rempli de soupçons et de craintes, que Masséna est brouillé, que la descente aura lieu, etc. ; mais tout cela passe par Londres avant d’arriver en Allemagne,

Adieu, cher ange, pense, je te prie, au moyen d’emmener Albert à Coppet ; je voudrais qu’il ne fût pas toujours à la pension,

Adieu encore, mon ange ; que Dieu me protège en toi.


Weimar, ce 20 février.

Je ne ferai pas partir cette lettre, mon ange, sans avoir reçu des nouvelles de toi qui me calment. L’état où je suis depuis ce matin est

  1. Mme Necker avait écrit une petite brochure contre le divorce.