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Etrange et fantastique destinée que celle de Calendal, le jeune marin du port de pêche de Cassis. Il tente tous les efforts, il brave tous les périls, pour conquérir une maîtresse merveilleuse, la fée Estérelle. Cette fille des princes des Baux, descendante de Balthazar le mage, séjourne, dérobée aux regards, dans des solitudes presque inaccessibles, après avoir rompu, en s’enfuyant, le mariage indigne et odieux qui l’avait asservie au comte Séveran, chef de bandits. Pour Calendal, dont le cœur est grand, mais dont l’origine est si basse, que d’obstacles à surmonter ! Qu’attend Estérelle de lui ? De l’or ? Voici le prix d’une pêche miraculeuse dans la « madrague. » De la gloire ? Il apporte un rayon de miel conquis au péril de la vie dans les ruches du Roucas de cire, après la destruction des mélèzes géans, qui ombrageaient le mont Ventoux. La guerre au mal ? Il livrera bataille au plus monstrueux des brigands, et dompté, enchaîné, il le mènera aux consuls de la ville d’Aix, qui fêteront cette capture. L’attachement inviolable à la vertu ? Il s’attablera à « l’orgie sardanapalesque, » où son rival l’a convié, pour le prendre au piège du vice. Ni les délices du festin, ni les danses lascives des courtisanes nues, ni aucun autre attrait libidineux ne le détournera de sa fidélité farouche. Blessé au jarret par traîtrise, et jeté au fond d’un cachot, il saura s’évader. Du combat contre les soudards de Séveran, qui finit par s’abattre au milieu des morts, il sortira victorieux : l’amour idéal triomphe dans la pure gloire.

Cette trame pouvait suffire à supporter la broderie ingénieuse et légère d’un conte. Le poète l’a distendue inexorablement, pour l’adapter aux proportions d’une épopée. Sur ce tissu, qui n’avait plus sa consistance, il a mis le poids de l’histoire, des traditions, des coutumes, des fêtes, des cérémonies, des curiosités de tout âge et de toute valeur. L’antique Cour des Baux et le règne du gai savoir, la bataille des Aliscamps, avec la comtesse d’Orange et Guillaume au Court-Nez, la roche appelée la Tête de Puget, la forêt de la Sainte-Baume, les compagnons du tour de France et le Temple de Salomon, les joyeusetés provençales {Passade, Guet, Chevaux-Frus) au jour de la Fête-Dieu, la faïence de Moustiers ( ! ), le paysage marin, îles de Lérins, îles d’Or, ports, criques et calanques, tout cela se mêle à l’intrigue et la fait oublier. La vérité des personnages, les ressources de l’action, disparaissent, une part du temps,