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fantaisie musicale, d’une si délicate et si riche sonorité, est dédiée à Paul Arène, un autre admirable ouvrier de la prose française et du vers provençal. Elle est pour l’oreille et l’imagination un divertissement délicieux.

La joie d’avoir écrit des vers comme ceux de ce Blé de lune doit, bien plus qu’aucun prix Nobel, nous paraître la récompense des dix années d’investigations, d’approvisionnement de formes, d’images, et de mots, que Mistral, comme chacun sait, avec la diligence et le silencieux acharnement d’une fourmi, employa presque uniquement à composer le précieux Tresor don Felibrige[1]. Mais le fait même qu’un labeur de pure érudition fût devenu l’occupation essentielle et exclusive de son âge de maturité ne nous fournit-il pas la preuve la plus manifeste du ralentissement et presque de l’arrêt de la poussée poétique, prévus, prédits par Lamartine, ou, si l’on veut une formule moins tranchante, de l’atténuation de la puissance créatrice ?

M’objectera-t-on que Nerto allait suivre les Iles d’or, que le drame La Reino Jano a succédé au poème de Nerte, que Lou Pouèmo dou Rose est venu après la Reine Jeanne, et que le volume Les Olivades s’est ajouté encore à tout cela ? De ce dernier recueil, mieux vaut ne rien dire et renvoyer aux Iles d’or, édition princeps. Mais qu’est-ce que Nerto ? Une diabolique en vers, comme la mode était d’en faire après Barbey d’Aurevilly, et comme Verlaine en a rimé plusieurs. Cette histoire, où il est beaucoup parlé du diable, n’enraie pas : elle ne fait pas suffisamment sourire. D’ailleurs, dans l’aventure romanesque, mêlée de merveilleux, de cette jeune Nerte, dont l’âme a été vendue au prince des enfers par un père indigne, le baron de Pons, et dont la destinée peu banale est de s’acheminer, par un souterrain, du manoir paternel au palais des Papes, de trouver à la porte un beau séducteur, le Catalan Rodrigue de Luna, d’entrer au couvent pour éviter sa poursuite, d’être enlevée par lui, de lui échapper par miracle, et, par miracle encore, d’échapper au diable, en devenant une nonne de pierre, sur l’emplacement d’un château que la « poignée d’épée, en forme de croix, » a fait écrouler et réduit en poussière, il y avait, tout au plus, la matière d’une ballade. En répandant, sur ce mince sujet, d’ingénieuses, de brillantes descriptions, le

  1. Dictionnaire provençal-français.