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les fuyards, neuf avaient jeté leur fusil, le trouvant trop lourd à porter par le froid. Les uniformes de la garde impériale, dont quelques individus s’étaient affublés pour exciter de l’enthousiasme, ont produit un effet contraire. On commença par en rire et l’on finit par les huer. Deux pauvres diables qui avaient eu l’idée d’endosser le costume des Mameluks de Napoléon, devinrent le point de mire de tous les farceurs. »

J’ajoute à ces détails que la garde nationale s’est aussi pas mal moquée de statues très grotesques, représentant le maréchal Ney et autres illustrations de l’Empire. Ces statues, faites à la hâte et se trouvant au milieu d’autres dont le dessin et la pose étaient assez corrects, excitèrent une hilarité générale, parfois si bruyante qu’on ne pouvait plus entendre le commandement. Les carlistes sont indignés d’avoir vu figurer le grand Condé parmi les statues rangées sur la route de feu l’assassin du duc d’Enghien.

La garde nationale et la populace, s’inquiétant fort peu des rapprochemens historiques et s’occupant bien plutôt de ce qui frappe les yeux, ont trouvé une nouvelle occasion de rire dans la manière bizarre de jeter de l’encens, au passage du corbillard : c’étaient d’énormes cassolettes remplies d’un combustible, brûlant d’une flamme rougeâtre, et répandant une fumée épaisse et si fétide qu’on en souffrait des yeux et du nez.

— Morbleu I Qu’est-ce donc qui brûle là-dedans ? cria une voix dans la foule.

— Ce sont les vieux souliers de Dupin, lui répondit-on.

Et la foule de rire et d’applaudir.

Ce qui, par exemple, a été d’une beauté poétique et grandiose, c’est la marche et la halte du char funèbre sous l’Arc de triomphe de l’Etoile, et ce qui est au total rassurant, c’est que toute cette cérémonie s’est passée sans émeute, sans troubles et sans aucun grave accident à déplorer.


Cte RODOLPHE APPONYI.